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chose de plus encore, un talisman qui prêtait aux acteurs et à la scène une vie bien plus naïve, une existence bien plus vraie. Chez Horace Smith, c’est le costume qui domine ; c’est l’apparence extérieure, c’est la draperie qui attirent l’attention. Nous voyons défiler devant nous les cavaliers et les têtes-rondes, simples personnages de tapisserie, auxquels manquent la chair et le sang. L’auteur n’est pas entré dans leur intimité ; on voit qu’il les connaît à peine, qu’il se contente de les peindre à l’aquarelle sans les analyser, sans les anatomiser, sans leur demander tous leurs secrets. Plus heureux lorsqu’il met en scène des personnages subalternes que dans ses portraits historiques, il sait copier la nature quand il ne veut s’occuper que d’elle. Il sait décrire, mais il abuse des détails. Il compte toutes les parties d’une armure, tous les ornemens d’une chambre ; il ne nous fait grace de rien.

Homme d’esprit d’ailleurs, il trace avec talent des portraits grotesques. Il sympathise avec la noblesse et la générosité de l’ame. Ses essais en vers, qui lui ont valu de la célébrité, étincèlent de saillies ingénieuses et renferment quelques peintures piquantes de la vie bourgeoise à Londres.


John Banim passe, auprès de quelques juges, pour le premier des romanciers vivans ; alors même que Walter Scott existait encore, j’ai entendu quelques personnes placer le grand homme au-dessous de Banim. D’autres le condamnent comme le plus prolixe, le plus faible, le plus extravagant de tous nos écrivains.

Quelque difficile qu’il soit de concilier deux opinions si différentes, on ne peut s’empêcher de reconnaître à la fois dans les ouvrages de Banim une largeur de pinceau, une puissance dramatique, une audace de pensée rares, mais aussi une prolixité fatigante, un babil souvent oiseux et un singulier défaut de tact et d’habileté. C’est du point de vue irlandais qu’il faut juger John Banim, les passions fortes, la patriotique indignation, les élans de tendresse et d’enthousiasme auxquels il se livre. Les deux îles voisines ne se ressemblent guère ; pour comprendre les ouvrages qui reflètent comme dans un miroir le génie de l’Irlande, il faut devenir Irlandais. Quelque violens, quelque exagérés que soient à mes yeux les accès de rage, de désespoir, de joie et d’amour qui remplissent les Contes de la famille O’Hara, je suis persuadé que cette exagération et cette violence sont historiques et même nationales. Ajoutons que l’auteur aurait rendu sa gloire plus durable et plus pure, s’il avait adouci des teintes si rudes et si sauvages, s’il avait modéré cette frénésie ardente qui s’accorde rarement avec la grace, la convenance et la beauté[1].

  1. Horace Smith n’est guère qu’un reflet pâle de Walter Scott, Banim