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capital fixe et flottant ! Vous le suivez dans ses bureaux, marchant comme un potentat au milieu de ses maigres commis, appuyant sur un pupitre chargé de chiffres son abdomen proéminent, examinant avec un soin religieux la balance de ses comptes, souriant à un actif représenté par six ou sept colonnes de beaux chiffres, apposant à ces résultats sa vénérable signature ; enfin, prenant le bras de son premier commis, montant lourdement dans sa calèche dont les ressorts crient et gémissent sous son poids, et se laissant emporter par deux chevaux rapides vers sa belle maison de campagne, ancien château qui occupe le sommet d’une colline, et où, pendant une semaine, l’image de ses spéculations heureuses bercera sa pensée endormie.

Cet écrivain a passé toute sa vie à Londres ; il parle de ce qu’il sait. Tout son style est imprégné des mœurs et des idées de la capitale anglaise. Le dialecte qu’il emploie est une langue étrangère pour le fermier, pour l’artisan, pour le prolétaire et le campagnard. Quiconque n’a pas été élevé et perfectionné dans cette école de civilisation spéciale, ne comprend rien à cette école qu’on a nommée l’école de la fourchette d’argent[1], à ses graves frivolités, à ses vétilles, à ses niaiseries solennelles. En lisant Théodore Hook, vous déplorez cette société artificielle qui attache tant de valeur aux coutumes les plus puériles, aux modes les plus passagères, qui regarde comme importantes les moindres minuties de l’étiquette sociale. Où sont maintenant les robes à ramages de nos grand’mères ? où sont leurs paniers et leurs édifices de plumes ? où est le plomb qui leur servait à maintenir les vastes manches de leurs robes ? Toutes nos modes actuelles, tout ce dont Théodore Hook a pris la peine de conserver le souvenir dans ses pages, toute cette fatuité pleine de morgue, tous ces riens solennels passeront de même et feront sourire nos enfans.

Homme d’esprit et de talent, improvisateur agréable, fécond en calembourgs bizarres et en ingénieuses plaisanteries : donnez à Théodore Hook une bouteille de vin de Champagne et liberté entière, il vous improvisera de fort jolies chansons, dont la vivacité, la malice et la poésie ne manqueront pas de vous étonner. La plupart des bonnes épigrammes et des satires piquantes qui circulent dans le public passent pour être de Théodore Hook. Ainsi tous les exploits des vieux héros furent attribués au seul Hercule.


James Hogg[2] ne ressemble ni à miss Mitford, ni à Théodore

  1. Silver-fork school. Les classes inférieures se servent de petites fourchettes de fer et d’étain, à manche de bois, et armées de deux ou trois pointes seulement.
  2. Le berger d’Ettrick, James Hogg, nous semble traité un peu sévèrement