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COMMENT JE DEVINS AUTEUR DRAMATIQUE.

bien le sabre ? Que voulez-vous, j’ai la main impatiente, et il faut que je l’occupe à quelque chose. Maintenant, que me voulez-vous ? voyons.

— Général, lui dis-je, je suis le fils de votre ancien compagnon d’armes en Égypte, d’Alexandre Dumas. —

Il se retourna vivement de mon côté, me regarda fixement, puis, au bout d’un instant de silence :

— C’est sacredieu vrai, me dit-il, vous êtes tout son portrait. —

Deux larmes lui vinrent en même temps aux yeux, et, jetant son pinceau, il me tendit une main que j’avais plus envie de baiser que de serrer.

— Eh ! qui vous amène à Paris, mon pauvre garçon, continua-t-il ; car, si j’ai bonne mémoire, vous demeuriez avec votre mère dans je ne sais plus quel village ?…

— C’est vrai, général ; mais ma mère vieillit, et nous sommes pauvres.

— Deux chansons dont je sais l’air, murmura-t-il.

— Alors je suis venu à Paris dans l’espoir d’obtenir une petite place pour la nourrir à mon tour, comme elle m’a nourri jusqu’à présent.

— C’est bien fait ! mais une place n’est point chose facile à obtenir par le temps qui court ; il y a un tas de nobles à placer, et tout leur est bon.

— Mais, général, j’ai compté sur votre protection.

— Hein !… — Je répétai.

— Ma protection ? — Il sourit amèrement. — Mon pauvre enfant, si tu veux prendre des leçons de peinture, ma protection ira jusqu’à t’en donner, et encore tu ne seras jamais un grand artiste, si tu ne surpasses pas ton maître. Ma protection ? eh bien ! je te suis très reconnaissant de ce mot-là, car il n’y a peut-être que toi au monde qui puisses aujourd’hui t’aviser de me la demander.

— Comment cela ?

— Est-ce que ces gredins-là ne m’ont pas mis à la retraite, sous prétexte de je ne sais quelle conspiration… de sorte que, vois-tu, je fais des tableaux. Si tu veux en faire, voilà une palette, des pinceaux, et une toile de 36.

— Merci, général, mais je n’ai jamais su faire que les yeux ;