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REVUE DES DEUX MONDES.

Une fois la figure principale et le procédé plastique arrêtés, l’exécution était possible. Le point d’Archimède était trouvé ; le poète pouvait essayer de soulever le monde.

M. Quinet a divisé son drame en quatre journées qu’il a coupées par trois intermèdes, et encadrées dans un prologue et un épilogue. Nous allons exposer la série des idées qui s’y déroulent.

Le prologue d’Ahasvérus, comme celui de presque tous les anciens mystères, se passe dans le ciel. Notre planète a cessé d’exister. Depuis trois mille ans et plus, la trompette du jugement a retenti dans la vallée de Josaphat. Le dernier monde était mauvais ; Dieu veut que celui qui va sortir de ses mains, soit meilleur. Il annonce aux saints de la loi nouvelle, à saint Thomas, à saint Bonaventure, à saint Hubert, que c’est à leur garde qu’il confiera le nouvel univers. Mais, avant de se remettre à l’œuvre, il ordonne à ses archanges de représenter devant les saints, en figures éternelles, le vieux monde et les temps écoulés : il veut que ses séraphins retracent cette histoire d’environ six mille ans, et jouent devant son trône le grand mystère du passé. Chaque époque, chaque siècle parlera son propre langage ; les lacs, les rochers, les fleurs trouveront une voix pour révéler les secrets qu’ils cachent sous leurs eaux, dans les joncs de leurs grottes, et dans le fond de leurs calices. À la voix du Père Éternel, les cieux se taisent, et le spectacle commence.

La première journée, intitulée aussi la Création, s’étend bien au-delà de cette période. C’est à la fois la création et la jeunesse du monde ; c’est comme un second prologue qui nous mène jusqu’à la venue de Jésus-Christ.

Créé avant toutes choses, l’Océan solitaire se plaint au Seigneur de ne voir que lui seul dans son immensité : son abîme appelle à grands cris de nouveaux êtres. Bientôt le Léviathan, l’oiseau Vinateyna, le Serpent, le poisson Macar, peuplent les eaux, la terre et les airs. Ces nouveaux hôtes de l’univers à peine sortis du néant, examinent curieusement leur demeure. S’y voyant seuls, ils s’en proclament les maîtres ; et dans leur orgueil, dont se rit le vieil Océan, ils s’écrient en chœur : C’est nous qui sommes Dieu. Mais bientôt sortent de leurs cavernes les Géans et les Titans, fragmens de montagnes, pour ainsi dire, réveillées d’un long sommeil, et ani-