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didit mundum disputationi. C’est le propre du beau dans l’art, comme du vrai dans la science, de soulever, à sa naissance, les plus vives oppositions, et de ne s’établir dans l’admiration, comme la vérité dans la croyance, qu’après une lutte opiniâtre et prolongée. Et, ce qui n’est pas moins remarquable, c’est que dans ce conflit de l’enthousiasme et de la routine, de la prose et de la poésie, la violence de la lutte est en raison de l’excellence de l’œuvre qui la provoque. On n’a pas oublié la longue querelle qui s’éleva, vers la fin du xvie siècle, à Paris et à Londres, au sujet des poésies homériques ; Pindare, Eschyle, Aristophane, Platon, Hérodote lui-même n’ont guère été jugés d’une manière plus calme et plus unanime. Nous avons vu la poésie biblique traitée dans un même siècle de sublime et de ridicule. On sait quels jugemens ineptes le Cid eut à subir, quelles risées dédaigneuses ont insulté Athalie ; Ossian fut sous le directoire un objet de division et presque une cocarde de parti ; Shakspeare et Schiller ont allumé, sous la restauration, des animosités violentes. Grimm et Rousseau ont rendu immortelles les querelles musicales du dernier siècle ; dans les arts du dessin, les dissidences de systèmes et d’écoles ne sont, de nos jours, guère moins passionnées. C’est un malheur peut-être ; mais l’esprit humain est ainsi fait. Il y a plus, toutes choses dont on ne dispute pas, toute œuvre à qui le temps et la discussion ne font pas péniblement sa renommée, toute création qui ne conquiert pas, un à un, ses admirateurs, comme Atala, René, Oberman, les Méditations de Lamartine (pour ne parler ici que des résistances surmontées), toutes compositions qu’on envisage, à la première vue, de sang-froid, sans frémissemens d’impatience, sans cris de surprise, sans vertige de la pensée, peut bien être une œuvre raisonnable, de bon sens, de talent même, mais est assurément sans poésie, sans durée probable, sans action possible sur l’avenir. Comme saint Paul, nous n’adorons guère que ce que nous avons blasphémé.

Nous sommes bien trompés, ou ce gage de vitalité que donne aux productions de l’art la vivacité même des attaques dont elles sont l’objet, ne manquera pas à la grande fresque épique que vient de terminer M. Quinet. Nous n’avons pas la prétention de prophétiser ici la mesure du succès qui lui est réservé ; nous igno-