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bruit des toits ébranlés, et prient Dieu pour le voyageur ? Ô mon pays que je regrette, quand vous reverrai-je ? »

En 1820, ayant perdu son père, il revit ce Jura tant désiré, et toute sa chère Helvétie. Il fit ce voyage avec M. Dubois, qui, placé alors à Besançon, et lui-même atteint de cruelles douleurs et pertes domestiques, y cherchait un allègement dans l’entretien de l’amitié et dans les impressions pacifiantes d’une majestueuse nature. M. Dubois a écrit, et a bien voulu nous lire un récit de cette époque de sa vie où son ame et celle de M. Jouffroy se confondirent si étroitement. Un tel morceau, puissant de chaleur et minutieux de souvenirs, où revivent à côté des circonstances individuelles les émotions religieuses et politiques d’alors, serait la révélation biographique la plus directe, tant sur les deux amis que sur toute la génération d’élite à laquelle ils appartiennent. Mais il faut se borner à une pâle idée. Après avoir reconnu et salué le toit patriarcal, le bois de sapins en face, à gauche, qui projette en montant ses funèbres ombres, avoir foulé la mousse épaisse où sont les fraises, et s’être assis derrière le rucher d’abeilles, dont le miel avait enduit dès le berceau une lèvre éloquente, il s’agissait pour les deux amis de se donner le spectacle des Alpes ; pour M. Jouffroy, de les revoir et de les montrer ; pour M. Dubois, de les découvrir ; — car c’était tout au plus si ce dernier les avait, en venant, aperçues de loin à l’horizon dans la brume, et comme un ruban d’argent. M. Jouffroy conduisit donc son ami un matin, dès avant le lever du soleil, à travers les vallées et les prairies, jusqu’à la pente de la Dôle qu’ils gravirent. La Dôle est le point culminant du Jura, et où le Doubs prend sa source. En montant par un certain versant, et par des sentiers bien choisis, on arrive au plus haut sans rien découvrir, et au dernier pas exactement qui vous porte au plateau du sommet, tout se déclare. C’est ce qui eut lieu pour M. Dubois, à qui son guide habile ménageait la surprise : « Toutes les Alpes, comme il le dit, jaillirent devant lui d’un seul jet ! » L’amphithéâtre glorieux encadrant le pays de Vaud, le miroir du Léman, dans un coin la Savoie rabaissée, cet ensemble solennel que la plume, quand l’œil n’a pas vu, n’a pas le droit de décrire, la vapeur et les rayons du matin s’y jouant et luttant en mille manières, voilà ce qui l’assaillit d’abord et le stupéfia.