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les hauts lieux, loin des objets voisins qui offusquent ; elle replace sur nos têtes à leur vrai point les questions éternelles, mais elle ne les résout et ne les rapproche jamais. Il est, avec elle, nombre de vérités de détail, de racines salutaires que le pied rencontre en chemin ; mais dans la prétention principale qui la constitue, et qui s’adresse à l’abîme infini du ciel, la philosophie n’aboutit pas. Aussi je lui dirai à peu près comme Paul-Louis Courier disait de l’histoire : « Pourvu que ce soit exprimé à merveille, et qu’il y ait bien des vérités, de saines et précieuses observations de détail, il m’est égal à bord de quel système et à la suite de quelle méthode tout cela est embarqué. » Ce n’est donc pas le philosophe éclectique, le régulateur de la méthode des faits de conscience, le continuateur de Stewart et de Reid, celui qui, avec son modeste ami, M. Damiron, s’est installé à demeure dans la psychologie d’abord conquise, sillonnée, et bientôt laissée derrière par M. Cousin, et qui y règne aujourd’hui à peu près seul comme un vice-roi émancipé, ce n’est pas ce représentant de la science que nous discuterons en M. Jouffroy ; c’est l’homme seulement que nous voulons de lui, l’écrivain, le penseur, une des figures intéressantes et assez mystérieuses qui nous reviennent inévitablement dans le cercle de notre époque, un personnage qui a beaucoup occupé notre jeune inquiétude contemplative, une parole qui pénètre, et un front qui fait rêver.

M. Théodore Jouffroy est né en 1796, au hameau des Pontèts près de Mouthe, sur les hauteurs du Jura, d’une famille ancienne et patriarcale de cultivateurs. Son grand-père, qui vécut tard et dont la jeunesse s’était passée en quelque charge de l’ancien régime, avait conservé beaucoup de solennité, une grandeur polie et presque seigneuriale dans les manières. La famille était si unie, que les biens de l’oncle et du père de M. Jouffroy restèrent indivis, malgré l’absence de l’oncle qui était commerçant, jusqu’à la mort du père. Il fit ses premières études à Lons-le-Saulnier sous un autre vieil oncle prêtre ; de là il partit pour Dijon, où il suivit le collége sans y être renfermé, lisant beaucoup à part des cours, et se formant avec indépendance. Il avait un goût marqué pour les comédies, et essaya même d’en composer. Reçu élève de l’École Normale par l’inspecteur-général, M. Roger, qui fut frappé de son