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LITTÉRATURE ANGLAISE.

voici nos plus sombres imaginations réalisées ; nos cheveux se dressent, nos os craquent et tremblent.

Après tout ce tapage, quand la sueur découle de nos membres, mistriss Radcliffe revient nous dire que nous avons été dupes de sa fantasmagorie ; qu’elle nous a terrifiés, comme le puritain disait que l’on adorait Dieu dans les cathédrales, avec deux soufflets et trois poulies ; que ces épouvantemens sont de notre propre fabrique ; que ces accens qui nous ont effrayés n’ont rien qui puisse nous faire peur ; que nous sommes des enfans qui avons tremblé dans l’ombre, en traversant le cimetière. Mais à qui la faute ? N’avait-elle pas, la magicienne, préparé et bercé notre imagination par mille moyens ? Ne nous avait-elle pas environnés de lampes tremblantes, de tourelles croulantes, de tapisseries que le vent agite, de figures voilées, de demi-mots terribles, et de tout ce qui pouvait exciter en nous le cauchemar de la peur ? C’est ainsi que Fuseli[1] le peintre se préparait lui-même à créer ses tableaux démoniaques et bizarres, en se donnant une bonne indigestion de porc frais.

Pour accomplir toute cette féerie, il fallait un remarquable talent descriptif et une forte imagination. Mistriss Radcliffe possédait l’un et l’autre ; ce qu’elle dit, elle le peint ; elle fascine le lecteur ; il y a de la cohérence dans ses merveilles ; à l’horreur première succède l’horreur seconde, comme Abraham fut père de Jacob. On voit peu à peu grossir, s’assombrir, s’étendre, peser sur le paysage la nuée dense et noire qui apparaissait d’abord comme un point à l’horizon ; son habileté rembrantesque place ses conceptions fantastiques sous un clair-obscur piquant et mystérieux, qui prête à ses personnages et à ses évènemens un caractère et un effet pleins de puissance. Nous nous souvenons tous de la séduction opérée sur notre jeunesse par les mystères du Château d’Udolphe : séduction mêlée de terreur, et qui nous attire, frémissans, pâles, agités, comme le serpent attire à lui l’oiseau et le force, chancelant, à devenir sa victime involontaire, mais incapable de se défendre et de résister.

À mesure que nous avançons dans notre lecture, la terre n’est plus qu’un vaste ossuaire, chaque maison n’est qu’un tombeau, chaque rivière roule des flots de sang, chaque oiseau pousse des cris funèbres ; la trompette du jugement dernier retentit. Il y a de la grandeur sans doute dans tout cela, mais nulle vérité. Le triomphe de mistriss Radcliffe ne pouvait durer long-temps ; elle devait faire une impression vive, ardente,

  1. Peintre né en Suisse, et auquel M. Allan Cunningham, dans ses Anecdotes sur les peintres, a consacré une notice, remarquable par l’élégance, par l’intérêt autant que par l’indulgence de l’appréciateur.