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listes de 1815 ; personne plus que M. Barthe, des libéraux et des carbonari ; personne plus que M. Thiers, des ames probes, des écrivains consciencieux et honnêtes, et des lecteurs de son Histoire de la Révolution.

Pour se distraire des légers ennuis que pourraient lui causer les chambres, la cour se prépare à se livrer de toutes ses forces au plaisir. La série des fêtes de l’hiver a commencé par un bal bourgeois à l’Opéra, précédé d’un intermède emprunté au marquis de Sourdis ou à Quinault. Les rois et reines des Français et des Belges ont été complimentés au sommet du grand escalier, par de petits enfans vêtus en Cupidons, qui leur ont présenté des bouquets et des guirlandes, et M. Dabadie a chanté à la reine des Belges une cantate de M. Dupaty, l’un des poètes les plus fleuris de l’empire. Ce bal a paru fort bien ordonné, et il nous eût semblé encore plus beau, si deux précautions, passablement injurieuses pour l’assemblée, n’avaient été prises. On avait eu l’attention de fermer les quatrièmes loges, par des raisons qu’il est inutile d’expliquer, et les rafraîchissemens étaient présentés, dit-on, par des agens de police élégamment vêtus en officiers servans. La police impériale était innocente et blonde en comparaison de la police dont nous a gratifiés la révolution de 1830.

On parle toujours d’une intervention en Espagne, mais nous savons, à n’en pas douter, qu’en ce moment on a complètement écarté cette question du conseil. Ce serait un acte de résolution et de courage, et, ces choses-là, le ministère n’est jamais pressé de les exécuter.

On ne s’occupe en ce moment dans un certain monde, que de Mme Thiers, qui sera certainement la femme à la mode pendant tout cet hiver. Il y avait foule, cette semaine, chez M. Herbault, pour aller voir les douze chapeaux commandés pour Mme Thiers. On ne parlait que du million donné en dot par M. Dosne à sa fille, et l’on assurait que, par un trait de modestie et de générosité qu’on ne manquera pas d’apprécier sans doute, c’était le futur lui-même qui, sous le voile de l’anonyme, faisait ce présent à sa fiancée. Quoi qu’il en soit, il n’y aura pas de fête brillante sans la femme du jeune ministre, et certaines personnes, à l’affût de tout, ont remarqué, au bal de l’Opéra, la tristesse profonde et la toilette négligée de Mme Leh… qui, jusqu’à ce jour, a donné le ton à la cour de la monarchie citoyenne. Mme Leh… est la seule illustration de ce nouveau régime, qui ne s’est pas encore effacée ; un présent fait à la révolution de France par la révolution belge : deux innocentes révolutions, qui, après bien des efforts, n’ont encore produit qu’une femme. C’est beaucoup sans doute ; mais le règne de cette femme est déjà prêt de finir ; nous avouons franchement que s’il est dans notre destinée de subir une révolution nouvelle, nous ne serions pas fâchés qu’elle produisît un homme ou quelque chose d’approchant.