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MARIE TUDOR.

Le jugement le plus sévère et le plus juste que je puisse porter sur Mlle Juliette, c’est de dire qu’elle n’a pas joué ; car je ne dois compter pour rien le mouvement assidu de ses épaules, ni la perpétuelle prière que ses yeux adressaient au ciel. Elle n’a pas été mauvaise, elle a été nulle. Elle n’a pas montré un seul instant de tristesse sincère, de repentir véritable, de joie vive ou de tendresse intime. Elle ne semblait occupée que du satin de sa robe ou des pierreries de sa coiffure. Elle aurait gâté le rôle d’Ophélia.

Le public s’est montré magnanime et généreux. Il a écouté jusqu’au bout, sans manifester la moindre impatience. À la vérité, la composition de la salle avait été délibérée en conseil. Les juges de Marie Tudor ont été soumis, comme les jurés des assises, à la récusation de l’auteur, du directeur, etc. Lequel des deux était le prévenu ? Lequel des deux représentait le ministère public ? Je ne sais : mais je puis affirmer que nombre de personnes honorables n’ont pu être admises, en temps opportun, faute de recommandation.

Je doute fort que cette épuration préliminaire profite long-temps au succès de la pièce. Qui sait si dans huit jours Marie Tudor comptera cinq cents spectateurs ?

Si la foule, sans qu’on l’en prie, envahit la salle de la Porte-Saint-Martin, ce n’est plus à l’auteur que la critique devra s’adresser, c’est à la nation elle-même ; car il faut plaindre les peuples qui ont besoin de pareils spectacles.

Au temps des Fausses Confidences, on pouvait dire que l’art se maniérait. Le lendemain de Marie Tudor, il faut dire que l’art s’en va ; car les comédies de Marivaux sont des chefs-d’œuvre de vérité auprès des drames de M. Hugo. Les marquises du xviiie siècle, avec leurs mouches et leurs paniers, avaient au moins un cœur capable d’amours ardentes et de haines sincères. Marie Tudor et Lucrèce Borgia ne sont d’aucun sexe.

Je souhaite bien sincèrement qu’un nouveau volume de poésies réconcilie M. Hugo avec sa gloire et sa popularité que le théâtre menace d’une ruine irréparable.


Gustave Planche.