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en les maudissant, et alla faire une promenade en Grèce et en Espagne comme pour donner à son courroux de l’espace et de l’air.

On commençait à l’oublier, lorsqu’il revint tout à coup dans son pays, l’étonna par la publication de Childe-Harold, commença une guerre acharnée contre les tories, et s’enrôla sous la bannière des whigs qui l’avaient tant offensé. Childe-Harold se plaça du premier élan au niveau des plus beaux poèmes de la langue anglaise, et mit son auteur hors de ligne.

Depuis cette époque, la féconde verve de l’auteur ne s’arrêta plus ; on vit jaillir cette source poétique avec une rapidité, une force, un éclat qui n’étaient égalés que par l’originalité de ses conceptions ; c’était une succession non interrompue de poèmes imprégnés de la saveur asiatique, tout resplendissans des couleurs orientales, et portant le caractère du peuple singulier qui habite les îles de l’archipel hellénique. Cette fertilité, cette nouveauté, étourdissaient et accablaient la critique. Le même ravissement qu’avait excité l’Arioste du Nord[1], le même enthousiasme qu’avaient fait naître Marmion, Rokeby, la Dame du Lac, Byron les éveillait à son tour. Au Giaour succéda le Corsaire, et à ce dernier le Siège de Corinthe, la Fiancée d’Abydos et Lara. La verve passionnée du poète donna toutes ses productions enflammées en moins de deux ans, rapide et violente dans son éruption comme les volcans de Sicile et d’Italie, dont le cratère fait couler à flots sa lave embrasée.

Fatigué de la rime, il adopta tout à coup le style de Milton et de Shakspeare, écrivit en vers blancs le mystérieux drame de Manfred et la tragédie magnifique de Sardanapale, ainsi que plusieurs autres compositions dramatiques vraiment splendides, et que nous pouvons nommer royales[2]. L’irritabilité de son tempérament, la susceptibilité de son caractère, les penchans voluptueux dont il se faisait gloire, au lieu de les dissimuler, les nombreuses aventures dans lesquelles il se trouvait impliqué, étaient un sujet de chagrin pour ses amis[3]. Leur joie fut grande

  1. Walter Scott.
  2. Regal.
  3. Lord Byron, comme le dit Moore, avait très peu d’amis, ou plutôt il n’en avait pas. On s’effrayait de la hauteur de son caractère, et, comme il n’était pas riche, il trouvait peu de complaisans et de flatteurs. Sa position était isolée comme l’est celle de tous les hommes dont on n’attend rien, dont on ne craint rien, qui ne veulent ni s’associer à une coterie, ni flatter lâchement, ni s’inféoder à un homme, ni s’asservir à une faction, et qui d’ailleurs n’ont pas assez de fortune et de pouvoir pour se constituer centres et attirer à eux les éloges, la foule et les imitateurs. Lord Byron, fier, pénétrant, pauvre et homme du monde, se trouvait