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LITTÉRATURE ANGLAISE.

Nos jeunes nobles l’admirent dans leur intimité. Le prince de Galles fit de lui son ami. Auteur de poèmes érotiques assez agréables, mais licencieux, publiés sous le nom de Tom Little[1], il reçut de la Revue d’Édimbourg un accueil tellement sévère, qu’il se crut obligé de provoquer en duel le directeur de ce journal. Tout ce que je sais de leur rencontre, c’est que l’un et l’autre vivent encore, se portent bien et sont intimes amis.

Moore publia ensuite une œuvre plus digne de son talent, les Chansons nationales de l’Irlande (Irish Melodies), qui parurent par numéros successifs, et dont le but était d’adapter aux plus beaux airs irlandais des paroles patriotiques, en harmonie avec leur sens intime et leur caractère particulier. La grace lyrique, la mélodie du rhythme, la concision et l’heureux choix des mots, ne manquent pas à ces compositions ; on ne peut leur reprocher que d’être trop brillantes, trop épigrammatiques, trop civilisées, trop fardées pour les airs rustiques auxquels elles s’allient. C’est la gaîté du beau monde ; c’est la vivacité du boudoir, souvent la grace du salon : la verve y est prétentieuse, l’enthousiasme factice, et la simplicité affectée. Ces défauts sont balancés par de grandes beautés, par d’innombrables élans de sensibilité véritable, par des saillies de haute et noble indignation contre les ennemis et les oppresseurs de l’Irlande, par une profonde sympathie pour ses douleurs, par une noble et pathétique vue de son avenir, par d’admirables retours vers la splendeur traditionnelle de ses annales. Les poésies érotiques de Moore offrent aussi des peintures naïves et tendres, éloquentes, pathétiques, quelquefois innocentes et pures.

Lalla-Rookh est une histoire orientale mêlée de prose et de vers. L’auteur introduit dans son œuvre, comme personnage épisodique et comme interlocuteur, un critique aussi tranchant que Jeffrey[2], aussi

  1. Thomas le Petit, allusion à son nom réel de Thomas Moore, et à sa taille exiguë. L’auteur de ces notes se souvient d’avoir eu peine à découvrir, un soir, le petit Moore (grande gloire alors et lion magnifique, comme on dit à Londres), absolument perdu entre trois douairières ses patrones, assises comme lui sur une ottomane. Les poèmes de Tom Little sont devenus le manuel des jeunes personnes qui professent une morale libre, et des demoiselles du monde.

    La Revue d’Édimbourg blâme surtout Thomas Moore d’avoir traduit Anacréon en vers modernes, d’avoir doratisé le poète grec, et prêté à la sensualité naïve du chantre de Théos, la couleur d’une civilisation raffinée, corrompue et recherchée dans le vice. Il est difficile de ne pas penser à ce sujet comme la Revue d’Édimbourg.

  2. Jeffrey, fondateur de la Revue d’Édimbourg, ne pouvait guère établir et perpétuer cette dictature littéraire, redoutée même aujourd’hui, sans s’exposer à beau-