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LITTÉRATURE ANGLAISE.

Si l’on excepte Campbell[1], tous ces poètes, par une sorte d’impulsion unanime, prenaient dans leurs œuvres une autre tendance que celle adoptée jusqu’à ce jour. Il ne s’agissait plus pour eux d’assortir tant bien que mal la boutique du libraire de marchandises poétiques ; mais en réformant l’ancienne manière, ils entraînaient le public hors des voies frayées pendant l’autre siècle. Il y avait donc plus d’un motif pour que le Voyage de Colomb, écrit avec simplicité et dans le goût ancien, ne réussit pas : il réussit. L’histoire de ce célèbre navigateur est par elle-même assez intéressante ; nous voulons lire, relire le récit de ses infortunes ; il nous apparaît alors comme un des plus intrépides héros de la chevalerie chrétienne. Un tel sujet est si poétique, qu’il n’est pas besoin d’y ajouter aucun embellissement d’emprunt, et il faut ici rendre grace au goût de Rogers, qui cherche seulement à intéresser l’ame de son lecteur par des scènes de voyages peintes d’une manière pittoresque. Rogers était parvenu à intéresser ; mais les Plaisirs de la mémoire l’emportèrent sur le nouveau poème dans l’opinion publique.

En général, l’histoire en prose l’emportera toujours sur l’histoire en vers.

Deux années après la publication du Voyage de Colomb, parut le poème de Jacqueline, accompagné de Lara, de Byron. C’était de la part de Rogers une témérité maladroite ; le public était enivré du génie de Byron, et voulut lui donner une réparation complète de l’injuste sévérité que la Revue d’Édimbourg avait exercée envers lui. On cherchait aussi avec une inquiète ardeur, dans cet ouvrage du jeune barde, les traces de sa vie étrange et de ses aventures singulières. La douce, l’aimable, la gracieuse Jacqueline était, il faut le dire, une compagne peu assortie au caractère du sombre, et mystérieux et vindicatif Lara. Mais la froideur avec laquelle on reçut l’œuvre de Rogers était injuste, et des passages comme celui-ci, et d’autres meilleurs encore, peuvent le prouver :

Soon as the sun the glittering pane
On the red floor in diamonds threw,
His songs she sung, and sung again,
Till the last light withdrew
.

  1. Campbell et Rogers tiennent encore à l’école de Pope. Byron, qui avait commencé par faire de l’hétérodoxie poétique, se mit, sur la fin de sa carrière glorieuse, à relever le vieil étendard de ce poète : c’était là un caprice de femme ou de grand seigneur, rien de plus. Peut-être l’auteur eût-il donné une idée plus nette du développement littéraire, s’il avait réuni par groupes isolés les écrivains de di-