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Byron, Crabbe et Scott, ces chants nous viennent assez souvent d’une région moins haute ; les sommités poétiques ont été envahies, et la muse cherche des retraites plus obscures pour y porter ses douces créations. Pendant l’ère à laquelle Élisabeth a donné son nom, la littérature anglaise fut essentiellement poétique ; les sujets que l’on aimait à traiter comportaient à peine la prose[1], et les génies élevés de l’époque se faisaient un devoir chevaleresque de maintenir les œuvres d’art à leur plus grande élévation. Pendant l’ère georgienne, la prose ne s’est pas élevée, mais la poésie est descendue. Nous n’avons point de prose plus vigoureuse, plus flexible que celle de Dryden, et point de poésie d’une nature plus belle et plus majestueuse que le Paradis perdu. Les poètes anglais modernes ont préféré des sujets domestiques, familiers et parfois vulgaires. Ils ont choisi des thèmes dont les Spencer et les Milton n’eussent pas voulu, et pendant le règne de la dynastie de Hanovre, on a vu paraître bien des poèmes longs et péniblement travaillés, qui, par le fonds du sujet et par les détails, rentrent dans le domaine de la prose.

À la mort de Johnson, avant que l’on eût reconnu le mérite de Cowper, avant que Burns eût chanté, le caractère de la littérature britannique se présenta sous plusieurs faces. La poésie, polie et façonnée avec soin, avait gagné en éclat ce qu’elle avait perdu en solidité. La muse n’exhala plus qu’un son mélodieux, sans pensées, comme les roulades d’un aria à la mode. Les vers d’Ossian, où l’on reconnaît le caractère bien senti des anciens chants celtiques, n’eurent aucune influence en Angleterre. Les hommes tels que Thompson, Collins, Gray, qui avaient peint la nature, étaient morts et délaissés ; Churchill est moins un poète qu’un écrivain satirique. Les vers de Johnson sont empruntés aux anciens, travaillés et artificiels ; Falconer a chanté la tempête et l’océan avec grandeur et avec grace ; Warton puise aux vieilles sources pures de la poésie anglaise ; Darwin copie la nature, mais sa manière est affectée, précieuse et fausse. Le laborieux Hayley, plein d’exaltation factice, ne parle jamais à l’âme ; Wolcot, épigrammatiste grossier, satirique sans force, dirige ses pointes sans portée contre la cour et l’académie, tandis que miss Seward, à laquelle cependant Walter Scott daigna penser, tâche d’attirer l’attention sur elle et sur sa petite coterie, au milieu de laquelle elle répand une faible et vacillante lumière[2]. Les véritables voies de la nature étaient

  1. L’auteur oublie les Essais de Bacon, son Organum, l’Anatomie de la Mélancolie, par Burton, et plusieurs grands prosateurs admirables contemporains d’Élisabeth.
  2. Cette appréciation des divers poètes que cite l’auteur pourrait être con-