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LA KOUTOUDJI.

Baltadji-Méhémet sentit une lueur d’espérance s’allumer au fond de son cœur, mais cette lueur se fut bientôt changée en une flamme dévorante, lorsque arrivé dans la salle d’audience où le sublime monarque des Osmanlis siège sur un divan de drap d’or, il eut levé les yeux vers le visage de son auguste juge. Méhémet baissa la tête aussitôt, puis il recommanda son ame au Prophète, car dans les traits de son souverain il avait reconnu l’amant de sa femme ! Le bourreau impérial, avec son sabre nu, se tenait derrière l’estrade du divan, et il n’attendait qu’un signe pour s’emparer de ses victimes.

Après que la colère du Sultan se fut exhalée en menaces terribles, et qu’il eut donné l’ordre d’entraîner les coupables hors de sa présence, Nuh-Effendi, se prosternant la face contre terre, demanda à son souverain la permission de faire une révélation importante.

— Auguste successeur des Khalifes, ombre de Dieu sur la terre, dit le hékim d’une voix pure et tranquille, la Koutoudji de votre mère était près de vous donner un fils lorsque mon neveu reçut l’ordre de l’épouser. S’il ne s’était rendu aux instances de la chaste et sublime Validé, ce secret terrible eût été découvert, et la loi du sérail condamnait à mourir la mère et l’enfant. C’est pour sauver ce sang précieux que j’ai consenti à ce que les formalités du mariage fussent célébrées entre la bien-aimée de votre cœur et mon neveu Méhémet. Aujourd’hui que la grâce du ciel vous a mis dans la main les destinées de l’empire, je dois vous rendre intact, et comme je l’ai reçu, le dépôt précieux qui a été confié à ma garde. Le saint Imam de mon quartier, qui attend à cette porte l’ordre de Votre Hautesse pour venir lui confirmer mes paroles, a mis, depuis la première nuit du mariage, une barrière sacrée, scellée de l’anneau de votre mère, entre mon neveu et sa femme, qui ne l’a jamais été que de nom. La Validé-Sultane et la Koutoudji elle-même, qui ne se plaignait de son mari quand vous daigniez la visiter, qu’afin de vous empêcher de compromettre par vos paroles l’existence de votre enfant, vous répéteront ce que vous affirme le plus dévoué de vos serviteurs. Nous avons voulu, au prix de notre vie, sauver deux têtes si chères à notre sublime souverain. Maintenant que nous avons rempli ce saint devoir, nous serons trop heureux de mourir, si telle est la volonté de notre maître.