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formes, lorsque son cœur, desséché par le feu du désir, eut bu comme une eau salutaire les mélodieux accens qui frappaient ses oreilles ! Méhémet eût alors donné volontiers le reste de ses jours pour un baiser de la Koutoudji. Mais le serpent cache souvent sa tête parmi les fleurs.

Dans la chambre même occupée par la favorite de la Sultane-Validé, une voix de jeune homme répondit à la voix de la jeune femme, et un turban de cachemire, surmonté d’une riche agrafe de diamans, vint s’interposer entre le neveu du hékim et le gracieux visage de cette trompeuse fille des hommes.

La stupéfaction de Méhémet augmenta encore quand il reconnut dans les traits de son rival le terrible janissaire dont il avait senti le genou sur sa poitrine, et dont les menaces retentissaient encore dans sa mémoire.

C’était donc là le mystère effroyable que son oncle n’avait osé lui révéler !

Ce personnage inconnu, qui commandait à tout le monde, était donc le véritable mari de la femme que Nuh-Effendi avait fait épouser à son neveu : sa main devait cueillir toutes les fleurs du rosier de l’hymen, dont l’infortuné Baltadji n’avait pour lui que les épines !

Baissant la tête avec respect sous le joug pesant de la fatalité, il s’abîma sans murmure dans les profondeurs de son désespoir, et il fit des vœux dans son cœur pour que ce secret, si soigneusement caché, tombât bientôt en sa puissance ; mais son étonnement et sa terreur ne connurent plus de limites quand il entendit la belle et naïve Koutoudji se plaindre à son amant des mauvais traitemens de son mari, et appeler sur lui sa vengeance.

— Chaque matin, disait-elle au jeune homme, quand vous êtes parti, mon mari vient me trouver dans ma chambre, et me force, le poignard sur la gorge, à manquer à la fidélité que je vous ai jurée. Il obéit en cela aux ordres de la Sultane-Validé, qui craint par-dessus toutes choses que vous ne m’arrachiez à sa tyrannie.

— Un jour viendra, répondit le jeune homme, où la Sultane elle-même ne pourra m’empêcher de te reconnaître pour ma femme et de t’élever jusqu’à moi. Alors tout le sang de cet infâme Baltadji, qui a osé se rencontrer sur mon passage et te tourmenter de ses