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ramassa son neveu en le saisissant au bas du dos par l’étoffe de ses vêtemens, et il le porta ainsi sur son lit, comme un Atchi-bachi porte un mouton à la cuisine.

— Que Dieu te pardonne dans sa miséricorde, chien d’ivrogne. Éveille-toi au plus vite, et frotte-toi les yeux, pour écouter les bonnes nouvelles que je t’apporte.

Nuh-Effendi lui conta alors l’issue de son entrevue avec la Validé, en lui cachant cependant ce qu’il savait de la grossesse de sa future femme ; car l’oncle, selon lui, ne devait rien savoir de ce qu’on avait confié au médecin, et puis il pensait en lui-même qu’un aussi léger accident ne devait apporter aucun obstacle à la fortune que le ciel voulait bien faire à son neveu.

En apprenant à quelle éminente dignité il allait être promu le lendemain, Baltadji-Méhémet ne put retenir ses plaintes. Il ne voulait pas entendre parler de cet honneur qu’on lui faisait, de l’élever au rang d’écuyer du Sultan ; il lui faudrait donc chaque jour quitter le coin délicieux du divan de la paresse, pour aller s’exposer à se briser les os sur le dos rétif et fougueux d’un cheval. — Voilà, disait-il, l’explication de cet horrible rêve qui m’agitait, mon oncle, quand vous êtes entré dans ma chambre. Moi, enrôlé parmi les écuyers de Sa Hautesse ! Cela équivaut à une condamnation à mort.

Nuh-Effendi calma cependant son désespoir, en lui rappelant qu’un refus les conduirait tous deux sous le sabre du bourreau. Telle était la volonté de la Sultane-mère ; il fallait rompre ou plier.

Ce que son oncle venait de lui apprendre de ce jeune homme mystérieux qu’il avait surpris en causerie d’amour avec la Koutoudji, et que le Capou-agha lui-même n’avait osé punir de ce crime inoui dans les fastes du sérail impérial, ne contribuait pas peu à augmenter les terreurs de Méhémet ; mais le médecin le rassura en lui persuadant que ce personnage devait être l’ame de quelque amant supplicié qui s’en revenait ainsi murmurer des paroles d’amour au clair de la lune.

Le lendemain, au lever du soleil, Nuh-Effendi et Baltadji-Méhémet dirent leur namaz en commun, et après avoir roulé le tapis de la prière, ils se rendirent en toute hâte à la maison que le médecin possédait à Stamboul, au bout de la rue du Divan.