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prenaient tour à tour les beaux globes de ses yeux, semblables à deux boules d’ébène qui reflétaient les feux du soleil.

— Comment trouves-tu cette fille ? dit la Validé au hékim, interrompant brusquement le cours de ses réflexions.

— Belle comme la lune dans son plein, répliqua l’Effendi du ton d’un prophète inspiré.

— Chien d’imbécile, interrompit la Sultane-mère en jetant sa pantoufle à la tête du médecin, ce n’est pas cela que je te demande. Est-ce donc pour faire les fonctions d’eunuque que tu es venu dans mon palais ? Cette fille n’est pas à vendre, et je ne te demande pas à quel prix tu l’estimes. Mais puisque tu es médecin, dis-moi de quelle maladie ma Koutoudji est menacée.

Le médecin tâta le pouls de la trésorière, et il ne sentit rien qu’un bras lisse et poli, délicieusement orné de la plus jolie main qui se pût rencontrer dans tout l’empire des Croyans. Il lui ordonna de montrer le bout de sa langue pour y saisir les traces de quelque inflammation. Il n’y vit qu’un éclat de fraîcheur qui fesait honte à la chair rosée de la grenade coupée toute mûre sur la branche. Il voulut lui poser la main sur le cœur pour en compter les pulsations, mais la Validé lui donna vivement de sa baboutche sur les doigts, et le hékim se prosterna aussitôt pour remercier la souveraine du précieux avertissement qu’elle voulait bien lui octroyer.

— Âne de savant que vous êtes, se prit à dire la Sultane-mère, ne voyez-vous pas que cette fille est grosse de plusieurs mois ? Est-il besoin pour deviner cela que vous portiez la main sur elle comme si vous tâtiez la laine d’un bélier de Caramanie ?

Le médecin ouvrit des yeux aussi grands que la porte majeure de la mosquée de sultan Bayézid.

— Nuh-Effendi, regrardez bien cette fille. Je l’aime et la chéris comme mon propre enfant. Celui qui deviendra son mari aura droit à toutes mes faveurs. Je les répandrai sur lui comme le vent du mois de schaban répand sur la terre les fleurs des amandiers. À quelque degré inférieur qu’il se trouve dans l’échelle des dignités de l’empire, je veux le faire arriver au sommet. Heureux sera le mari de la Koutoudji. Il bénira le jour qu’il sera sorti du ventre de sa mère. À l’instant de son mariage, le sultan, mon fils, l’élèvera au rang de l’un des cinq Aghas de l’étrier impérial. Pour