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REVUE DES DEUX MONDES.
ATTILA.

Compagnon, qu’est-il donc arrivé ? Tes yeux scintillent dans ta niche comme l’œil de l’épervier dans son nid, ton livre flamboie comme le livre de la mort.

L’ERMITE.

Dites-moi si vous n’avez pas entendu les fleuves sangloter dans les vallées, quand vous étiez si longs à attacher vos selles et à plier vos tentes. N’avez-vous pas rencontré sur votre route deux étoiles qui brillent comme les yeux d’un homme à l’agonie, un nuage qui roule sur la montagne un linceul taché de sang, une forêt qui gronde, comme des chants de prêtres sur le bord d’un tombeau ? Ce sont mes yeux qui brillaient dans les étoiles, c’est mon manteau qui pendait dans le nuage, c’est ma voix qui grondait dans la forêt : c’est que le Christ est mort. Il est mort, mon fils, le Dieu de la terre, et mes archanges chassent à coups de fouets vos chevaux devant ma porte. Ne vous arrêtez pas à boire dans mon puits ; ne vous mettez pas à l’ombre sous mon porche. Courez, allez ! effacez sous vos pieds le sang qui souille encore la terre ; déracinez les villes, avant que j’aie fini la dernière page de mon livre. À la place des peuples faites un grand cimetière où croîtra l’herbe drue, comme dans le jardin de ma cellule. Trois jours vous marcherez ; vous passerez deux fleuves ; après, vous serez arrivés.

ATTILA.

C’est donc toi qui es l’Éternel, dans cette étroite niche ? On disait que tu vivais dans une tente de diamant, sur une montagne d’or ; mais n’importe ! Pendant que nous passons, couvre avec tes paupières tes yeux d’éperviers, et avec ta robe ton livre qui flamboie. Mon carquois est à toi. Quand un archer de nos tribus meurt dans le combat, nous lui faisons un tombeau avec des mottes de terre, avec des fers et des os de chevaux, avec des amulettes et le sang de trente prisonniers. Puisqu’il est mort, ton fils, le Dieu de la terre, nous lui ferons ses funérailles avec les os des peuples, avec les ruines des villes, avec l’or des couronnes, jusqu’à ce que tu dises : C’est assez.

L’ERMITE.

Le soir approche ; les chevaux hennissent ; au retour, ils dormiront dans mon étable.