Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/200

Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
REVUE DES DEUX MONDES.

de son cheval. Il tomba ; mais ce ne fut pas là tout son malheur. Son chapeau à plumes, jeté aussi à terre, entraîna en même temps une perruque qu’il portait, et découvrit un chef aussi dépouillé de cheveux que celui d’un Chinois. Le pauvre homme sentit bien que c’était là ce qu’il y avait de plus amer dans sa disgrâce, car, comme on l’enlevait, son premier mouvement fut de se cacher la tête avec les mains.

Cela ne fit que redoubler les rires inhumains qui accueillirent le malheureux à son passage entre les barrières, sous les gradins du tendido. — Ne vous en étonnez point. — Ce peuple n’est peut-être pas plus cruel qu’un autre peuple. — C’est l’ardeur de son soleil, je crois, qui lui donne une telle soif de sang dès qu’il est assis à son amphithéâtre. Et puis il n’a pas déjà trop de pitié, mon Dieu ! pour les accidens sérieux ! Comment voudriez-vous qu’il lui en restât pour les accidens ridicules ?

Une nouvelle scène était au surplus bientôt venue le distraire de cette mauvaise joie, et Villaroel n’avait pas tardé à être vengé de sa défaite. Le même taureau qui l’avait renversé, dispersant, à sa seule approche, la cavalerie légère des alguazils, fondit impétueusement, tête baissée, sur le triple rang des hallebardiers ; mais toutes leurs piques s’étaient abaissées en même temps pour le recevoir, et il tomba soudain, criblé de plus de cent profondes et mortelles blessures.

Celui des quatre caballeros en plaza qui eut toute la gloire et tout le bonheur de l’entreprise, ce fut Artaiz. Dans les six premiers combats, c’était lui qui s’était le plus vaillamment exposé au péril. Sous lui, — ou sur lui, — il avait eu déjà cinq chevaux éventrés, mais ses chutes avaient été brillantes. À peine jeté à terre, il s’était toujours relevé audacieusement, portant la main à son épée, afin de se défendre, s’il le fallait, avec elle, et de combattre en fantassin. Lorsque le septième taureau, un puissant taureau de la Manche, fut lancé dans la place, Artaiz s’avança au trot à sa rencontre, laissant derrière lui ses matadors. Les deux ennemis s’arrêtèrent vis à vis l’un de l’autre et se mesurèrent quelques instans du regard. On voyait que chacun d’eux n’attendait qu’afin de frapper plus sûrement. Le hardi cavalier porta cependant le premier le défi. Se retournant vers l’un de ses toreros, il lui ordonna de jeter