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prons donc décidément avec le passé que lorsque ces types, jusqu’ici refoulés et murmurans dans la rue, auront eu à leur tour leur avènement dans l’art ou leur 10 août, et quand nous les aurons nous-mêmes couronnés de bonne grâce à la place de nos conceptions qui sont encore bourgeoises, mais ne sont plus royales.

Un mot seulement sur la manière dont le christianisme a été compris ici, puisque pour ce sujet il faudrait un volume. Comme le paganisme alexandrin portait en lui un germe de christianisme, le christianisme contient un nouveau monde qui commence à poindre. Dans le calice de l’évangile littéral est caché un évangile cosmogonique, qui brise déjà son enveloppe. À présent, le livre c’est la vie, l’homme c’est le genre humain, l’Église c’est le monde, le Christ c’est l’infini. Tout se meut, tout gravite, tout est emporté dans ce progrès. Ce qui était personnel est devenu social, ce qui était social est devenu cosmogonique. Dans cette transformation, le disciple se fait peuple, le peuple humanité, l’humanité univers, l’univers éternité, l’éternité Dieu ; ici, la langue manque, et c’est en regardant ce cercle qui s’accroît et se ride incessamment, sans trouver de rivage, que l’auteur y a laissé tomber, lui, par mégarde, sa pensée, comme Ferragus son casque dans la source des Ardennes où il buvait.

Car, pour parler franchement, une étrange maladie nous travaille et nous point sans relâche. Comment l’appellerai-je ? Ce n’est plus, ainsi que toi, René, celle des ruines. Non, vraiment ; la nôtre est plus vive, et plus cuisante, et plus rongeante. Chaque jour elle ranime le cœur pour mieux s’en repaître. C’est le mal de l’avenir, mal aigu, sans sommeil, qui à chaque heure vous dit sur votre chevet comme au petit Capet : Dors-tu ? Moi, je veille ! Au fond de nos ames nous sentons déjà ce qui va être. Ce rien est déjà quelque chose qui palpite, là, sous notre main, dans notre sein. Nous le voyons, nous le touchons. Mais dans le monde, il tarde trop, en vérité. Le fardeau de ce qui n’est pas pèse sur nos désirs. Ce n’est pas la faiblesse de notre pensée qui nous tue ; c’est son excès, c’est sa disproportion avec la vie ; c’est le poids de l’avenir à supporter dans le vide du présent. Et pour nous guérir de notre fièvre, nous tenons sur notre bouche la coupe du lendemain où des lèvres boiront ; mais ce ne sont pas les nôtres.

Et pourquoi en pleurer ?