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DU POLYTHÉISME ROMAIN.

deos pervertisse, eosque esse ipsos, quos nos colere, precari, venerarique soleamus, nonne expertes sunt religionum omnium  ? Quæ ratio maxime tractata ab Euhemero est, quem noster et interpretatus et secutus est præter cæteros Ennius. Ab Euhemero autem et mortes et sepultura demonstrantur deorum. Utrum igitur confirmasse religionem videtur, an penitus totam sustulisse ? « Que dire de ceux qui prétendent que des hommes courageux, illustres et puissans, sont devenus les dieux même que nous adorons par notre culte et nos prières ? N’est-ce pas dépouiller toute religion ? C’est Evehmère qui a produit ce système ; Ennius s’en est fait l’interprète et le champion. Evehmère vous dira où sont morts les dieux, où sont leurs sépultures. Est-ce là prêter appui à la religion ? N’est-ce pas plutôt la détruire de fond en comble ?[1] » Cicéron s’irritait contre Evehmère dans les intérêts de la politique romaine ; il n’aimait pas la publicité d’un pareil commentaire, qui, devenu populaire, avait chassé de toutes les imaginations les mystérieuses croyances. C’était le socinianisme de la mythologie. Qu’importe qu’Evehmère n’ait point été un esprit de première ligne ? il a suffi qu’il fût le rédacteur d’une opinion qui avait droit d’éclater. Fauste Socin n’a-t-il pas eu plus d’influence que de génie ?

Nous bornerons ici nos observations critiques, et en répétant que cet ouvrage posthume de Benjamin Constant ne contient pas une histoire complète, ne présente pas les idées et les faits dans leur face principale et leur racine profonde, mais plutôt en opposition et en saillie, nous nous serons complètement acquittés du devoir d’être sincères. Maintenant nous avons à remplir une obligation plus douce ; nous devons signaler au lecteur quelques-unes des beautés échappées à l’originalité de notre auteur. Il y a des pages, surtout dans le premier volume dont le style est parfait, où Benjamin Constant semble avoir concentré avec plus de puissance qu’ailleurs les caractères différens de son esprit. Voici comment il parle d’Hégésias, ce sectateur bizarre d’Aristippe : « Adonné, comme Théodore, aux opinions d’Aristippe, Hégésias plaçait, ainsi que lui, le souverain bien dans la volupté, le seul principe de la morale dans l’égoïsme ; mais son âme mélancolique et pro-

  1. De naturâ deorum, lib. i, cap. 42.