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est plus légère. Oui, en écrivant ce livre, Benjamin Constant songeait à son siècle, ou plutôt il en était poursuivi ; des allusions instinctives naissaient sous sa plume : il ne pouvait peindre la chute de la liberté, sans avoir l’imagination encore pleine des défaillances successives de la cause qu’il avait défendue. Les bassesses et les sophismes dont il esquissait la peinture lui rappelaient d’autres sophismes et d’autres bassesses ; et de même que Fénélon a déroulé dans le Télémaque une injurieuse épopée, Benjamin Constant nous a laissé un fragment d’histoire, qui souvent est une satire.

Cette personnalité même fera surtout vivre l’ouvrage. Le Polythéisme romain sera plutôt considéré comme une dernière révélation d’une belle et noble nature, que comme un monument vaste et achevé. L’homme est plus grand que son œuvre, dont la plus haute valeur est de reproduire la mélancolique figure de celui qui l’a tracé d’une main affaiblie.

Cependant l’ouvrage même a un prix qui lui appartient : il offre au lecteur des beautés véritables. En voici d’abord le plan. Le polythéisme romain est établi, au commencement du livre, comme le résultat de la combinaison de deux cultes, l’un sacerdotal, l’autre affranchi du pouvoir du sacerdoce, c’est-à-dire, d’une part, de l’ancienne religion de l’Italie, et de l’autre, du polythéisme grec. Benjamin Constant distingue quatre époques principales dans la religion romaine. La première comprend l’intervalle qui s’écoule depuis la fondation de Rome, jusqu’à l’établissement de la République ; la seconde commence à l’expulsion des Tarquins et finit à la prise de Carthage ; la troisième s’étend depuis Carthage détruite jusqu’à l’empereur Adrien ; la quatrième se prolonge jusqu’à la chute définitive du polythéisme. Ces bases posées, l’auteur entre dans son sujet ; il apprécie le caractère des divinités du polythéisme romain, des fêtes, du sacerdoce ; il compare sous le rapport moral le polythéisme romain et le polythéisme grec, et il reconnaît de sensibles progrès dans la religion romaine. Il appuie particulièrement sur les rapports du polythéisme avec la morale. Après avoir traité de la magie, et montré que les religions vaincues sont toujours traitées de magie par les religions triomphantes, Benjamin Constant entre dans l’examen des causes de la décadence du polythéisme : il les trouve dans la multiplication infinie des dieux, dans la dispropor-