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et sans danger au moyen de quelques pierres disposées comme des marches. Quoique formée sans doute par les eaux pluviales, elle présente, au premier aspect, tout le désordre d’un éboulement subit, et les premiers pas se font au travers de blocs mal joints qui laissent entre eux des sentiers étroits et profonds ; mais les inégalités du terrein disparaissent à mesure qu’on avance, et la route, d’abord rompue, irrégulière et pénible, finit par devenir praticable dans presque toute sa largeur. La voûte est sensiblement inclinée de droite à gauche, et les eaux s’accumulent vers ce dernier côté et y déposent une infinité de stalactites qui ressemblent à de larges planches très serrées et disposées verticalement. D’autres stalactites, aussi variées dans leurs formes que dans leur grandeur, pendent du sommet de la voûte, et à ce travail immense que la nature a produit avec lenteur, on reconnaît dans Boubonne une des plus anciennes cavernes qui se soit formée depuis la consolidation du globe. Sa hauteur est constamment d’environ quinze pieds et sa largeur de vingt à vingt-cinq. Elle est rétrécie de distance en distance par des rochers qu’a défigurés le liquide lapidifique, et qui, simulant plus ou moins parfaitement des corps d’hommes ou d’animaux, passent chez les Côsiah pour des êtres métamorphosés en pierre. Ce peuple superstitieux considère cette caverne comme l’ouvrage de Satan. Plusieurs divinités malfaisantes y ont établi leur séjour ; aussi, en passant devant chaque œuvre diabolique, ont-ils soin de crier, de battre du tambour et de frapper dans leurs mains pour effrayer les démons. Après avoir marché pendant trois heures, et fait environ quatre milles sans trouver aucun changement sur ma route, mes guides, effrayés, refusèrent d’aller plus loin. Ayant remarqué que la flamme des torches vacillait toujours dans le même sens, comme poussée par un courant d’air, j’en conclus que la caverne avait une seconde issue, et, à force d’instances, je déterminai les Côsiah à s’avancer encore un peu ; mais ma présomption ne fut pas justifiée, et, après avoir cherché inutilement cette seconde issue, je restai sans preuve certaine de son existence. Enfin, accablé de fatigue, transi de froid, mourant de faim, je retournai vers ma suite, que je trouvai très inquiète de ma longue absence, et m’attendant avec impatience pour retourner au bazarra.

La route que nous suivions dans ce ténébreux labyrinthe était