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LETTRES SUR L’INDE.

loin encore un rhinocéros, et l’on me montra même les douze apôtres d’un dieu côsiah, qui furent métamorphosés en statues de basalte, un jour qu’ils s’entretenaient trop gaîment des miracles de leur maître. J’étais las de me prosterner, quand nous arrivâmes près d’une masse de pierres cent fois plus élevée que les précédentes. Elle était percée vers le bas d’un trou semblable à une cheminée, et j’appris que ce trou était l’ouvrage du même dieu un jour qu’il cherchait à se soustraire aux poursuites du diable, qui se mêle des affaires des Côsiah comme des nôtres. Pour m’en convaincre, on me fit remarquer des traces noirâtres ayant la forme d’empreintes de pieds. Nous fîmes en ce lieu une longue prière qui se termina par un grand battement de mains et des cris affreux, puis nous continuâmes notre route, mes bateliers en chantant des psaumes, moi en tuant des bêtes, en ramassant des pierres et en cueillant des fleurs. Notre dernière halte eut lieu dans un endroit où la rivière, profondément encaissée entre deux hautes montagnes de rochers, est ombragée par leurs masses, qui entretiennent une fraîcheur délicieuse. Quoique ces montagnes soient taillées à pic, la terre a pu s’y fixer çà et là, et ces murs de rocs sont garnis d’arbres touffus dont les racines rampent en tout sens, comme pour chercher un appui. Quelques-unes enveloppent la pierre si étroitement, qu’elles semblent faire corps avec elle, et qu’on les prendrait pour d’énormes serpens. Nos petits canots, passant le long de ces masses gigantesques, avaient l’air de fétus de paille entraînés par les eaux. La moindre pierre, le plus petit arbre, en se détachant, nous eussent écrasés, et je songeais, non sans effroi, que ce malheur pouvait fort bien nous arriver. J’avais fait une ample récolte de productions des trois règnes. J’avais écrit huit pages dans le voyage. J’étais fatigué. Il était tard, et je retournai joindre mon bazarra. Ce qui me parut le plus remarquable à mon retour fut la vitesse avec laquelle je l’effectuai. J’avais mis huit heures pour me rendre à la cheminée du dieu côsiah, et je m’en revins chez moi en moins de trois. Adieu, ma belle, bonsoir.


16 septembre, au soir.


Il y a aux environs de Pundua une grotte souterraine qui passe dans le pays pour servir de résidence au diable. On la nomme