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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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14 septembre 1833.


L’empereur Nicolas a fourni, pendant cette quinzaine, l’étoffe d’un drame où les péripéties n’ont pas manqué. Embarqué presque secrètement sur le bateau à vapeur l’Ischora, les terribles tempêtes dont nous avons ressenti les effets sur nos côtes, l’avaient assailli dans sa traversée ; et, au milieu de toutes les sinistres nouvelles de mer qui arrivaient à chaque moment, la grande nouvelle du naufrage de l’empereur de Russie dominait toutes les autres. M. Pozzo di Borgo, ce diplomate si calme et si préparé à tous les évènemens, avait tout-à-fait perdu contenance, et M. de Broglie, avec une comique et spirituelle hypocrisie, lui prodiguait tous les égards et toutes les grimaces de bonne compagnie, qu’on affecte près d’une récente veuve. Dans ce peu de jours, le télégraphe ne cessa de demander aux nuages et aux vents des nouvelles de ce czar perdu dont la France était si inquiète ; mais le ciel ne répondit pas, et M. de Broglie redoublait de malicieuses condoléances. Le Journal des Débats insinuait déjà tout doucement que le pyroscaphe impérial devait avoir péri, corps et biens, à l’embouchure de la Vistule, coïncidence assez heureusement trouvée ; et en d’autres lieux moins officiels, on se demandait si la mer Baltique n’avait pas été témoin d’une scène semblable à celle que vit la mer d’Azof, quand il prit fantaisie à l’empereur Alexandre de se promener dans les eaux de Tangarok, d’où l’on ne rapporta que son cadavre. Encore un jour d’indécision, et les journaux de toutes couleurs nous eussent développé les conséquences de la mort de l’empereur Nicolas ; mais la Baltique s’est montrée clémente envers l’autocrate, et après l’avoir ballotté plusieurs jours, l’a jeté sur le rivage de Swinenmunde. Aussitôt après la réception de cette nouvelle, M. Pozzo di Borgo se rendit près de M. de Broglie, et lui fit à son tour ses complimens de condoléance. Il n’y a rien de perdu entre les gens d’esprit.