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LA CORNOUAILLE.

au fond de la bassine la bouillie dont on nourrit les enfans[1] ? Ces lèvres épanouies ne se sont-elles pas rougies aux baisers d’un homme, et n’y a-t-il pas dans ces yeux une flamme qui annonce la femme initiée à l’amour ?

LE RÉPONDEUR.

Rien ne vous échappe.

(Il lui présente une petite fille de dix ans.)

Dites alors, est-ce celle-ci que vous cherchez ?

LE DEMANDEUR.

Voilà ce qu’était, il y a huit ans, celle que je désire. Un jour cette belle enfant fera le bonheur d’un mari ; mais elle doit rester encore long-temps sur l’espalier ; l’autre n’attend qu’une corbeille pour être transportée sur la table du festin nuptial.

LE RÉPONDEUR.

C’est assez. — Vous méritez d’obtenir ce que vous demandez.

(Il va prendre la fiancée dans la maison.)

Voici la jeune fille que vous avez choisie… — Approchez, jeune homme. — Vos mains, enfans ! et n’oubliez pas qu’elles doivent rester unies jusqu’à ce qu’une troisième main, celle de la mort, vienne les séparer. — Homme, tu as maintenant une femme à défendre et à rendre heureuse. Fais qu’on ne la voie jamais pleurer à la porte de ta maison comme une étrangère, car Dieu venge ceux qui sont faibles et qui pleurent !

Les deux familles se mêlent et entrent ensemble dans la maison de la fiancée ; le demandeur les suit, et s’arrête à quelques pas du foyer.
LE DEMANDEUR.

Salut à cette maison et à ceux qui y dorment, chaque soir, sous la main de Dieu ! — Depuis l’instant où j’étais tout petit, porté sur le bras de ma mère, j’ai toujours désiré entrer dans un palais… — Enfin, aujourd’hui, mes vœux sont satisfaits, puisque j’ai mis le pied dans cette demeure qu’habite la reine de la beauté. — Ici sont deux êtres qui s’aiment et veulent s’unir.

(Il se met à genoux.)

Oh ! Christ, source de toute science et de toute parole, inspire-moi dans ce que je vais leur dire !

(Il se relève.)

Allons, jeune fille, courbez vos deux genoux et baissez votre front sous les mains bénissantes de votre père. — Vous pleurez ? — Oh ! regardez votre père et votre pauvre mère !… Eux ils pleurent aussi, mais combien leurs larmes sont plus amères que les vôtres !… Ils vont se séparer de la

  1. Les femmes bretonnes donnent à manger aux enfans à la mamelle avec leur doigt qu’elles frottent pour cela de bouillie.