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aussi dramatiques dans leurs combinaisons. C’est aux foyers des huttes de pêcheurs de la baie des trépassés, qu’il faut aller entendre ces récits bizarres. Là, vous apprendrez qu’au jour des morts, la triste baie, dont le nom seul fait froid, retentit de rumeurs plaintives. Alors, les âmes des naufragés s’élèvent sur le sommet de chaque vague, et on les voit courir à la lame comme une écume blanchâtre et fugitive : toutes celles dont les corps habitèrent le doux pays et eurent les flots pour linceul, se rassemblent dans cet endroit ; c’est le rendez-vous annuel accordé par Dieu à leurs souffrances. Là, se rencontrent ceux qui se sont aimés sur la terre et se sont perdus dans la mort ; chaque vague qui passe porte une âme cherchant partout l’âme d’un frère, d’un ami, ou d’une bien-aimée ; et quand toutes deux se trouvent face à face, plaintives elles jettent ensemble un triste murmure, et passent forcément emportées par le flot dont elles doivent suivre la marche. Quelquefois aussi un bruit confus et prestigieux frémit sur la baie ; mélange inexplicable de doux soupirs, de rauques gémissemens, de cris stridens qui sifflent sur la houle. — Ce sont les âmes qui conversent et racontent leurs histoires ! — Pauvres jeunes filles, noyées à quelque passage en revenant du pardon, qui pleurent la danse et leurs amans ; durs matelots, naufragés bien loin dans la grande mer, et qui gémissent à la vue de leurs grèves où on ne les attend plus ; pauvres pêcheurs, emportés par l’orage, et qui viennent, comme pendant leur vie, côtoyer la plage en sifflant un air des montagnes ! — Le voyageur qui passe alors sur la terre ferme, et entend de loin ces voix confuses, doit se signer et répéter la prière des morts. Les parens des trépassés font même dire des messes ; car, parmi ces âmes errantes, il en est beaucoup qui pleurent aux portes du paradis, plus encore qui sont dévolues aux flammes éternelles !

Les orages sont fréquens dans ces parages et le nombre des bris est considérable ; aussi l’on connaît la vieille prière du matelot breton en naviguant dans ses eaux : « Va Doué sicourit an hanom, va vatimant a zo ker bian ag ar mor a zo ker bras !… » — « Mon Dieu protégez-moi ; mon navire est si petit et votre mer est si grande ! » C’est une opinion généralement répandue dans le pays, que l’ouragan ne s’apaise que lorsque les flots ont rejeté au rivage les cadavres des hérétiques qui ont péri dans un naufrage, et tous les autres corps immondes ; comme s’il y avait, pour le Kernewote, je ne sais quelle vague et poétique association d’idées entre la pureté des flots et celle des croyances ! comme si cette grande mer qui reflète le ciel, et crie si haut le nom de Dieu, était trop sainte pour rouler rien de vil ou d’impie !

Avant la révolution, les habitans de la côte allumaient, pendant la