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ces rotes encaissées aux flancs du coteau, et que bordent des deux côtés les genêts qui balancent leurs couronnes d’or, à cinq pieds au-dessus de votre tête ; marchez sans écarter le rideau de verdure qui se trouve devant vous ; puis, tout-à-coup, quand vous aurez cessé de monter… levez les yeux !… — la mer sera à vos pieds, — la mer murmurante, mélancolique, encadrée d’une bordure de montagnes lointaines et semblable à un de ces immenses lacs du nouveau monde, qu’entoure la solitude ! Là, vous pourrez passer des heures, des journées, des mois entiers, sans entendre d’autre bruit que celui de la vague ou le cri de l’oiseau marin, sans voir autre chose que le soleil se levant et se couchant sur les flots, ou parfois une voile rasant la mer à l’horizon comme un goëlan égaré. Rien au monde ne peut rendre la majestueuse tristesse d’un pareil spectacle. C’est devant une de ces grandes baies solitaires que l’on peut encore comprendre les longues existences des premiers chrétiens dans le désert. Il semble, au bruit régulier et mélodieux de cette mer, que votre âme s’associe à la sérieuse nature qui vous entoure, qu’elle s’y mêle au point d’en faire partie ; que ce cri plaintif de l’oiseau des grèves, ce murmure des vents et des flots deviennent quelque chose de vous-même, une sorte d’émanation de votre être, une mystérieuse communication entre votre monde et je ne sais quel autre monde inconnu. Devant cette admirable image de l’infini l’esprit s’élève et s’immobilise, en quelque sorte, dans l’extase.

Mais, à côté de ces sites d’une calme et sublime sévérité, s’en trouvent d’autres d’un caractère terrible. La côte de Quimper est remarquable à cet égard, et la torche de Penmarc’h présente un des plus effrayans tableaux que l’imagination puisse concevoir. En temps d’orage, les hurlemens des flots, qui se brisent contre le roc, sont si affreux qu’on les entend de Quimper même pendant la nuit. Je me rappelle un soir les avoir écoutés à cinq lieues de distance, penché sur le cou de mon cheval ; et je n’oublierai jamais la solennelle et fatale majesté de ce grand murmure, qui m’arrivait à travers l’espace. Le jour était tombé, la lune montait à l’horizon, mate, blanche et trouée de taches sombres ; près de moi la girouette rouillée d’une vieille chapelle criant sur son axe de fer, une fresaie tapie au creux d’un calvaire de carrefour gloussant tristement ; et au milieu de tant de bruits et d’objets sinistres, la brise m’apportait par intervalles cet horrible bruissement de Penmarc’h, qu’on ne peut comparer à rien, si ce n’est au rugissement de plusieurs milliers de bêtes féroces sortant de quelque forêt profonde ! En approchant de la Torche même, le spectacle change, plus rien de laissé à la rêverie, plus de mystérieux. C’est l’effroi qu’inspirent le bouleversement et le chaos, ce sont les éclats de mille machines qui se brisent, de mille édifices qui s’écroulent, de mille armées qui crient et