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château fomentaient ce petit scandale, la cour d’assises du Pas-de-Calais écoutait des révélations d’un autre genre. M. Frédéric Degeorges, rédacteur en chef du Propagateur, se défendait de l’accusation de propagandisme, en déclarant que le gouvernement actuel et le roi lui-même n’avaient pas toujours été aussi ennemis de ce principe qu’ils semblent l’être aujourd’hui. Là-dessus, il citait fort indiscrètement le don de 100,000 francs fait, disait-il, par le roi, aux émigrés espagnols, pour les aider à renverser le trône de Ferdinand vii. Et comme le procureur du roi souriait et secouait la tête d’un air incrédule, M. Degeorges s’écria avec un beau mouvement dramatique : « Une des trois personnes qui ont reçu cet argent se trouve en ce moment dans cette enceinte ; c’est M. Dupont, avocat de Paris, venu pour me défendre ; les deux autres sont M. Loève-Veimars, et M. Chevallon, ancien ami de Manuel ! » — Mais, mon Dieu ! monsieur Degeorges, que les réfugiés espagnols aient reçu ou n’aient pas reçu 100,000 francs du roi, que vous importe ?

Il est très vrai que, dans le courant du mois de septembre 1830, les trois personnes, si indiscrètement désignées par M. Degeorges, se rendirent chez le roi Louis-Philippe, qui résidait alors au Palais-Royal, et lui exposèrent que le comité espagnol, dont ils faisaient partie, ayant épuisé toutes ses ressources, s’adressait à lui pour subvenir aux besoins des malheureux réfugiés. Ils ne dissimulèrent pas que les efforts du comité tendaient à faire une tentative armée sur l’Espagne, afin d’y rétablir la constitution. Ils ne lui cachèrent pas qu’ils avaient déjà fait de nombreux envois d’armes et d’habillemens aux émigrés qui se trouvaient répandus sur les frontières, et qu’ils les avaient acheminés là de tous les points de la France et de l’Angleterre aux frais du comité. Le roi les questionna beaucoup, et les interrogea avec la sagacité qui le distingue. Il se fit rendre compte des forces et des ressources dont on pouvait disposer, demanda les noms des chefs, s’informa des lieux où se trouvaient Torrijos, Mina, Valdez, parut fort au courant de toutes les intrigues qui avaient eu lieu parmi les membres des cortès réfugiés en Angleterre, parla longuement du général espagnol Alava, qu’il avait connu autrefois, et parut inquiet en apprenant de la bouche de M. Loève-Veimars que ce général entretenait une correspondance active avec M. de Talleyrand ; mais il est aussi vrai de dire que le roi se refusa absolument à concourir à cette expédition, alléguant que ce concours, quelque secret qu’il fût, ne manquerait pas de le brouiller avec les puissances étrangères, qui ne l’avaient pas encore reconnu.

Ce fut alors que M. Loève-Veimars osa lui demander ce qu’il comptait faire de ces nombreuses bandes d’Espagnols que le comité avait rassem-