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LA DUCHESSE DE BERRY AU CHÂTEAU DE NANTES.

— Je n’y vois aucun inconvénient, Madame, et si Votre Altesse Royale veut m’indiquer ceux qu’elle désire lire ?

— Mais voyons. — L’Écho d’abord, la Quotidienne et le Constitutionnel.

— Vous, madame, le Constitutionnel ?

— Pourquoi pas ?

— Seriez-vous prête à abjurer votre politique comme Henri iv a fait sa religion, et diriez-vous : Paris vaut bien une charte ?

— Croyez-vous que sa lecture pourrait me convertir ?

— Certes, c’est un journal très serré de raisonnement, et très entraînant de conviction.

— C’est égal, je me risque : je voudrais aussi le Courrier Français.

Le Courrier ! mais Votre Altesse n’y pense pas, elle va devenir jacobine.

— Écoutez, général, moi, j’aime tout ce qui est franc et loyal, et le Courrier est franc et loyal : je désire aussi l’Ami de la Charte.

— Oh ! pour le coup !…

— Celui-là, c’est pour un autre motif, général, me dit-elle avec une extrême mélancolie, celui-là m’appelle toujours Caroline, et c’est mon nom de jeune fille, et je le regrette, car mon nom de femme ne m’a pas porté bonheur.

En ce moment M. Maurice Duval entra ; il venait de la revue : comme la première fois, il négligea de se faire annoncer ; comme la première fois, il souleva son chapeau à peine. Il paraît que ce jour-là M. le préfet était comme madame la duchesse de Berri et moi : il avait faim. Il alla droit au buffet où l’on venait de porter des perdreaux desservis de la table de Madame. Il se fit donner une fourchette et un couteau, et se mit à manger, tournant le dos à la duchesse.

Madame le regarda avec une expression que je n’oublierai jamais, et reportant les yeux sur moi :

— Général, me dit-elle, savez-vous ce que je regrette le plus dans le rang que j’ai perdu ?

— Non, Votre Altesse.

— Deux huissiers pour me faire raison de monsieur.

Cette conduite m’avait révolté comme la duchesse, et pour n’en être pas témoin, je me levai et sortis.

C’était la première fois que je voyais Madame, et j’avoue que l’impression qu’elle fit sur moi ne s’effacera jamais.

Marie-Caroline, comme toutes les jeunes filles napolitaines, quel que soit le rang dans lequel elles sont nées, n’a reçu que peu ou point d’éducation : chez elle, tout est nature et instinct ; les exigences de l’étiquette lui