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REVUE DES DEUX MONDES.

À ces mots elle me prit le bras et m’entraîna vers la porte. Je l’arrêtai.

— Est-ce que Madame ne se souvient plus qu’elle est aux arrêts ?

— Ah ! c’est vrai, dit-elle en soupirant, je me croyais encore dans un château, tandis que je suis dans une prison. Au moins j’espère, général, qu’il ne m’est point défendu de faire prendre de ses nouvelles.

— J’ai voulu en apporter moi-même à Votre Altesse Royale, et je viens de chez lui.

— Eh bien ! comment va-t-il ?

Je racontai alors à Madame les soins que j’avais pris de lui. Ces marques d’attention, qu’elle sentit que j’avais données à elle-même bien plus qu’à M. de Ménars, la touchèrent vivement. — Général, me dit-elle d’un ton qui annonçait que toute sa colère était évanouie, je vous remercie de votre bonté pour Ménars ; mais il la mérite bien, car il n’était point partisan de mon équipée. Il me fit d’instantes prières pour me dissuader ; mais lorsqu’il vit que j’étais bien décidée ; il me dit : « Madame, voilà seize ans que je suis près de vous, et mon devoir est de vous suivre, mais cette fois ce sera sans applaudir à vos projets, qui ne peuvent que produire les plus fâcheux résultats, pour vous et pour la France. » Elle se tut un instant, puis ajouta avec un soupir : il avait peut-être raison, ce pauvre Ménars !

Il ne fallait plus songer à ma revue, je restai donc avec Madame jusqu’au moment du dîner. On vint lui annoncer qu’il était prêt, je lui offris alors le bras pour la conduire dans la salle à manger.

— Si je ne craignais pas que l’on ne dît que je cherche à vous séduire, général, je vous proposerais de partager mon repas.

— Et moi, madame, si je n’avais pas peur d’être séduit, j’accepterais volontiers, car je n’ai rien pris depuis hier onze heures du matin.

— Comment, vous n’avez pas dîné hier ?

— Pas plus que Votre Altesse.

— Alors j’aurais tort de vous en vouloir, dit-elle en souriant, nous sommes quittes. — À propos, continua-t-elle, si je suis en prison, j’espère du moins que je ne suis pas au secret, et que M. Guibourg pourra dîner avec moi ?

— Je n’y vois pas d’inconvénient, madame, d’autant plus que je pense que c’est la dernière fois qu’il aura cet honneur.

Soit qu’elle n’entendît pas ces paroles, soit qu’elle n’y fît pas attention, la duchesse ne me répondit point, et comme nous étions arrivés à la salle à manger, elle s’assit à table ; je restai debout près d’elle.

— À propos, général, me dit-elle alors, me sera-t-il permis d’avoir des journaux ?