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LA DUCHESSE DE BERRY AU CHÂTEAU DE NANTES.

— Et vous vous y rendrez ? continua-t-elle en souriant.

— Ce sera à la fois un devoir et un honneur pour moi. — à ces mots je m’inclinai et sortis.

À peine avais-je fait trente pas hors du château, qu’un trompette de gendarmerie me rejoignit tout essoufflé, et me dit que Madame m’ordonnait de me rendre à l’instant auprès d’elle ; il ajouta que la duchesse paraissait furieuse contre moi. Je lui demandai s’il connaissait le motif de cette colère subite ; il me répondit que d’après quelques mots qu’il lui avait entendu dire à mademoiselle de Kersabiec, il l’attribuait à ce que M. de Ménars, au lieu d’avoir été placé dans son antichambre, avait été conduit dans la tour. Craignant qu’effectivement on n’eût pas eu pour lui tous les égards que j’avais recommandés, je me rendis aussitôt chez M. de Ménars, et le trouvai si malade, qu’il s’était jeté sur son lit sans avoir la force de se déshabiller. Je lui offris d’être son valet de chambre, mais comme il n’y avait encore ni chaise ni table dans son appartement, et qu’il ne pouvait se tenir debout, ce n’était pas un office facile à remplir : j’appelai à mon secours un gendarme, et nous parvînmes à nous deux à le mettre au lit. Lorsqu’il fut couché, je lui dis que Madame venait de me faire rappeler, et que nous allions probablement avoir une scène à cause de sa séparation d’avec elle. Il me dit de la tranquilliser sur son état, et de l’assurer qu’il sentait lui-même que ce n’était qu’une faiblesse passagère, et surtout d’appuyer sur ce qu’il était très content de son nouveau logement, afin de détourner, autant que possible, l’orage qui m’attendait.

Je me rendis immédiatement chez Madame. Lorsqu’elle m’aperçut, elle bondit plutôt qu’elle ne s’avança vers moi.

— Ah ! ah ! monsieur, me dit-elle d’une voix altérée par la colère, ah ! c’est comme cela que vous commencez, c’est ainsi que vous tenez vos promesses ; cela promet pour l’avenir. C’est affreux !

— Qu’y a-t-il donc, Madame ? lui demandai-je.

— Il y a que vous m’aviez promis de ne me séparer d’aucun de mes compagnons, et voilà déjà que pour débuter vous mettez Ménars dans un autre corps de logis que le mien.

— Madame est dans l’erreur, répondis-je ; M. de Ménars est dans la tour, il est vrai, mais la tour tient au corps de logis qu’habite Madame.

— Oui, mais il faut descendre et remonter par un autre escalier.

— Votre Altesse se trompe encore, repris-je, on peut se rendre chez M. de Ménars en descendant au premier et en suivant les appartemens.

— Si cela est ainsi, allons-y, monsieur, me dit-elle, je veux voir ce pauvre Ménars à l’instant.