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NOUVELLES EXPÉDITIONS ANGLAISES.

eût des armes sous la main, plus inquiet de la santé de celle qu’il aimait que de sa propre sûreté, il eut recours aux prières pour engager ces bandits à abandonner leur horrible dessein, ou du moins pour obtenir d’eux qu’ils le tuassent à quelque distance de la maison : ils parurent y consentir ; mais à peine eut-il franchi le seuil de la porte, qu’ils l’égorgèrent à coups de bayonnette, puis jetèrent son cadavre dans un fossé, où il resta plusieurs jours. La terreur que ce crime avait inspirée était si vive, que personne n’osa lui donner la sépulture, ni même chasser les vautours qui venaient se disputer à grands cris ces restes mutilés. Cet événement ne put être dérobé long-temps à la connaissance de la jeune veuve, sur laquelle il produisit un effet terrible, quoiqu’on eût employé les plus grands ménagemens pour le lui annoncer. Aux pleurs qu’elle répandit, et aux cris sans suite qu’elle poussa pendant trois jours, succéda une folie furieuse, pendant laquelle elle montrait du doigt le corps sanglant de son mari qu’elle croyait sans cesse avoir sous les yeux, et priait les assassins d’épargner son enfant. On la porta dans cet état à bord de la Sarandi, qui la conduisit à Buenos-Ayres. La guitare et le piano dont j’ai parlé, appartenaient à cette infortunée, et avaient charmé ses loisirs dans cette solitude.

« Vernet étant à Buenos-Ayres lors de notre arrivée, la direction de l’établissement était retombée sur un Français, nommé Louis Simon, qui avait vécu vingt-deux ans parmi les gauchos et les Indiens, et qui pouvait le disputer au premier d’entre eux en habileté à lacer et dépouiller un bœuf, et sur un Irlandais de Dublin, qui résidait depuis quatre ans dans l’île. Le reste se composait d’un tailleur allemand, d’un pêcheur des Canaries, d’un matelot Anglais, quatre gauchos, quatre Indiens, trois femmes de couleur et deux enfans. Les quatre Indiens avaient été condamnés à la déportation sur ces îles pour divers vols qu’ils avaient commis dans les environs de Montevideo. Le seul que j’aie vu était d’une constitution athlétique, avec une figure basanée et une double rangée de dents qui eussent fait envie à un vieil épicurien invité à un dîner de cérémonie. Loin d’être honteux de ses crimes, chaque allusion qu’on y faisait en plaisantant, faisait naître sur sa figure un sourire pareil à celui d’une coquette à qui on adresse un compliment sur sa