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sence de la cour leur laisserait plus de liberté. La promesse fit accepter la condition, et Mainfroi, triomphant dans l’idée de son crime, mesura avec impatience les heures et les instans qui en retardaient l’exécution.

« Enfin le jour désigné arriva. Mainfroi se présente chez Syligaitha, qui avait tout fait préparer pour recevoir son frère avec magnificence. L’heure du rendez-vous avait été fixée au soir, en sorte que la princesse avait eu soin de commander un souper somptueux, dont tous les mets, cependant, étaient composés de chair de poule. Ce fut donc auprès d’une table couverte de vaisselle d’or et d’argent que le frère et la sœur s’assirent. Bien que la faim de Mainfroi fût tant soit peu émoussée par l’espérance d’autres plaisirs qu’il attendait impatiemment, cependant le repas fut gai, il s’y dit des choses agréables, et l’on y but, dit encore la chronique, assez copieusement, ce qui ne contribua pas peu à donner un cours plus rapide aux pensées des deux convives.

« Le repas fini et les serviteurs s’étant retirés, le frère et la sœur demeurèrent seuls dans la pièce qui était la chambre à coucher. La conversation continua, et comme Syligaitha demandait à Mainfroi pourquoi il avait fait si peu d’honneur au festin, et que celui-ci, après en avoir loué l’ordonnance, assurait qu’il y avait pris autant de part que son appétit le lui avait permis, la sœur prit la main de son frère et lui parla ainsi : — Mon frère, tous les mets dont vous avez goûté à ce souper, ont été faits avec de la chair de poule, et leur saveur, quoique légèrement variée, n’était pas très différente, puisque dans le fait tous ces ragoûts étaient composés de la même substance. Croyez-moi, mon frère, il en est de même à l’égard de la variété des plaisirs de l’amour. Le but vers lequel on tend avec une si vive ardeur, que l’imagination se représente sous des couleurs si brillantes et si variées, est au fond toujours le même. — À ce début, le front de Mainfroi se rembrunit ; — écoutez-moi, poursuivit Syligaitha, en prenant l’autre main de son frère, écoutez-moi : si mon âge vous a séduit, si mes yeux ont blessé votre cœur, si mes paroles ont produit de l’effet sur votre âme, pensez qu’en vous laissant aller à vos mauvais desseins, vous n’obtiendrez pas une satisfaction différente de celle que vous avez pu éprouver déjà, et que, par cette action, vous attirerez seulement le déshonneur sur notre noble famille. Au nom de Dieu, s’écria Syligaitha en faisant un effort pour retenir les mains de son frère qu’il cherchait à retirer des siennes, par l’âme de notre père ! par notre ancienne maison ! chassez, je vous en supplie, cette fatale idée de souiller le lit d’un autre, le lit de votre allié ! que votre vertu mette un frein à votre passion ! Il y a plus de gloire, croyez-moi, à comprimer ses désirs qu’à renverser des villes et des armées ennemies. On fait l’un par la force de l’épée, par la puissance du nombre ou à l’aide du hasard ; l’autre