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ÆNEAS SYLVIUS.

ginaux entre les mains, et qu’il n’a fait que les traduire en langue latine. Après bien des rendez-vous manqués, bien des stratagèmes déjoués, beaucoup de lettres écrites en vain, Euriale pénètre enfin chez Lucrèce à la faveur d’un déguisement, et il obtient ce qu’il désirait depuis long-temps. De nouveaux obstacles s’opposent à leurs rendez-vous, et donnent lieu à l’auteur de peindre la vivacité de la passion des deux amans, jusqu’à la catastrophe de la nouvelle, qui est le départ de l’empereur Sigismond de Sienne, départ qui détermine celui d’Euriale, fait le désespoir des deux amans, et amène enfin la mort de Lucrèce.

L’histoire des amours de Lucrèce et d’Euriale est, comme on le voit, un de ces canevas si connus dans les recueils de nouvelles des quinzième et seizième siècles. Mais, tout en ayant le droit de reprocher à Æneas Sylvius l’affectation pédantesque et classique qui dépare souvent cette composition, le lecteur ne peut s’empêcher d’y reconnaître, en beaucoup d’endroits, un naturel exquis et une naïveté de style qui plaît et attache singulièrement. On en pourra juger par les citations suivantes : au moment où les démêlés qui avaient eu lieu entre l’empereur Sigismond et le pape Eugène iv, furent apaisés, le César fut obligé de partir pour Rome. La nouvelle du départ de la cour impériale se répandit à Sienne, et Lucrèce, comme on le pense bien, ne fut pas des dernières à sentir les conséquences d’un tel événement. Aussi, dans son inquiétude, écrivit-elle à son amant :

« Euriale ! si je pouvais éprouver de la colère à votre sujet, j’en ressentirais une extrême de ce que vous m’avez dissimulé votre départ prochain. Mais je vous aime surtout pour vous-même, aussi ne puis-je vous en vouloir dans cette triste circonstance. Ah ! vous n’avez pas eu pitié de mon pauvre cœur ! que ne me prépariez-vous à apprendre que l’empereur devait quitter Sienne ? Tout annonce son voyage ; je sais que vous ne pouvez rester ici. Que vais-je devenir ? Que ferai-je ? Où trouverai-je du repos ? Si vous m’abandonnez, il ne me reste pas deux jours à vivre.

« Par les larmes qui inondent cette lettre, au nom de cette foi que nous nous sommes jurée, et si enfin j’ai pu vous inspirer quelque affection tendre, ayez pitié de votre malheureuse amante. Je ne te demande pas de rester, mais enlève-moi ! Ce soir je feindrai d’aller à la chapelle de Bethléem ; une vieille femme seulement m’accompagnera. N’aie aucun scrupule à l’égard de mon mari ; car, de quelque manière que les choses tournent, je suis perdue pour lui. Si tu ne m’emmènes pas, c’est la mort qui me séparera de cet homme. Au nom du ciel, ne me laisse pas mourir ! Enlève-moi ! Je t’aime plus que tout au monde. »