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ÆNEAS SYLVIUS.

acquis une certaine célébrité par les réimpressions que l’on en a faites dans plusieurs recueils, avec ce titre : Amoris illiciti medela, n’est cependant qu’une suite de lieux communs renfermant des conseils fort sages sans doute, mais dont tout le monde connaît trop bien la teneur et l’inefficacité, pour que l’on ait cru nécessaire d’en donner ici une traduction même extraite. Nous prendrons le même parti à l’égard de la cent vingt-deuxième lettre dans laquelle l’auteur en adresse une autre à son maître Sigismond, duc d’Autriche, qui lui avait demandé de lui composer une épître tendre et amoureuse, propre à fléchir les rigueurs d’une jeune fille qu’il aimait. Le poète lauréat, pour plaire à son prince, lui composa une lettre qui est censée adressée par Annibal, chef des Numides, à la belle et jeune Lucrèce, fille du roi des Épirotes. Après avoir entassé des lieux communs de morale dans le Remède d’amour, cette fois il a rassemblé tous ceux d’une galanterie qui n’est plus guère de mode, et il se trouve, dans cette lettre d’Annibal, une espèce d’inventaire de toutes les beautés corporelles de sa Lucrèce, qui parviendrait peut-être plutôt à guérir de l’amour que toutes les graves et sérieuses raisons qu’il a données dans la lettre précédente.

On doit le dire à la louange d’Æneas Sylvius, il n’avait aucune des qualités qui font un rhéteur. Il a besoin de parler de verve, de cœur ; il faut qu’il peigne, qu’il écrive d’après nature ; alors, comme il le dit lui-même, son style n’est pas orné, mais sa parole est vraie, naïve, pittoresque, entraînante, et la franchise de son langage, l’indépendance de son esprit, rendent le lecteur indulgent sur le choix des sujets qu’il a traités, et sur la manière dont il les traite.

L’une des productions de notre pape qui a eu le plus de succès de son temps et même pendant deux siècles après sa mort, est une espèce de petit roman, une nouvelle, ou, comme il le dit lui-même, une anecdote amoureuse, qui fait le sujet d’une des plus longues lettres de son recueil. Cette nouvelle a pour sujet : Les Amours d’Euriale et de Lucrèce. Cette composition, qui se sent tout à la fois de la nouvelle comme l’ont traitée les Italiens, et du goût des comiques latins dont le style et tout l’appareil scénique étaient alors adoptés d’une manière assez pédantesque, produit aujourd’hui une singulière impression à la lecture. À chaque page, on s’aperçoit que le sujet est moderne, que sans doute même l’auteur a connu les personnages qu’il met en scène ; et toutefois l’esprit se sent arrêté, contrarié à chaque phrase, souvent à chaque mot, par l’abus continuel du langage mythologique, par la singularité des noms tirés des poèmes d’Homère et imposés aux acteurs du roman, et enfin par des locutions continuellement empruntées à Plaute, à Térence et surtout à Virgile. Il est