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accordez, écoutez. Ils savaient cependant tout aussi bien que nous que cette dernière manière de parler est beaucoup plus ornée, mais ils furent arrêtés par cette réflexion, que ces ornemens ruineraient toutes les véritables lois du langage, si on les employait une fois auprès des princes et des supérieurs. Je me range de leur avis, et je suis leur exemple en écrivant. Toutefois je suis encore dans le doute de ce que je dois faire au moment de t’écrire ; car je crains que tu ne t’en fies plus aux habitudes de ceux qui t’environnent qu’à mon propre jugement, et que tu ne regardes comme un devoir d’écrire au pluriel, comme font les rois et les princes eux-mêmes, quand on s’adresse à eux. Nous envoyons, nous voulons, nous mandons, nous faisons, telle est leur locution usitée. Mais, chez les princes, cet usage a une cause satisfaisante. Si puissans qu’ils soient, quelque désir qu’ils aient de mettre une loi en vigueur, cependant ils sentent la nécessité de montrer de la modération dans l’exercice de leur volonté, et de laisser voir qu’eux seuls n’ont pas pris cette résolution, mais qu’ils se sont entourés de conseillers. Ainsi donc je trouve que l’on aurait tort de faire l’application d’une formule modeste à des usages de vanité. Mais pour toi, de ton côté, ne t’offense pas de ce que les princes, lorsqu’ils écrivent à des princes supérieurs à eux, rejettent la formule du pluriel, sous prétexte que cela excite leur orgueil. On voit dans les lettres adressées à César, prince impérial, que le duc de Milan, par exemple, écrit : Je supplie, j’avertis votre majesté. Mais il faut bien se persuader que cette formule a une toute autre cause que celle que l’on imagine ; car les puissances inférieures écrivant à des supérieures, il est naturel que les secondes ne se servent pas du pluriel en parlant d’elles-mêmes. C’est une manière d’avouer son infériorité, c’est comme si elles disaient : Ô puissance supérieure à la mienne, je ne puis me servir du concours de la volonté des autres, puisque c’est vous qui m’avez confié le dépôt de ces sujets que je représente envers vous, puisqu’en dernière analyse, vous me représentez en me comprenant avec eux. Le pluriel employé par les princes est donc de leur part une formule de modération. Ils l’emploient par modestie, on la leur rend par politesse. Ainsi, lorsque le pape s’intitule le serviteur des serviteurs de Dieu, nous lui répondons en l’appelant le père des pères. »


On ne peut se dissimuler qu’Æneas Sylvius ne fut naturellement très disposé à s’occuper d’abord activement, et ensuite littérairement, des affaires d’amour et de galanterie. La cent sixième lettre, adressée à Michel de Wirtemberg, traite du remède ou des adoucissemens que l’on peut apporter à un amour qui n’a pas le mariage pour but. Ce morceau, qui a