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sur les affaires. Cette fois je le fais de mon propre mouvement, et pour savoir où en est votre mariage projeté. Je n’ai rien autre chose à vous demander, si ce n’est de me faire savoir, par votre réponse, où en est cette affaire, et si vous êtes enfin marié. S’il en est ainsi, je vous donnerai la commission de me conférer aussi cette dignité dans le cas où vous rencontreriez par hasard quelque être féminin qui pût s’accommoder à mes goûts et à mes habitudes ; car, enfin, je n’entends pas passer toute ma vie hors d’Italie, et jusqu’à présent, je me suis bien gardé de me laisser emmaillotter dans les ordres sacrés. Je n’en fais pas mystère, j’ai une terreur extrême de la continence, qui, toute digne de louange qu’elle soit, est une vertu dont l’existence est bien plus dans les paroles que dans les actions, et qui convient beaucoup mieux aux philosophes qu’aux poètes. Répondez donc précisément à tout ce que je vous demande, et mettez-moi bien au courant. Souvenez-vous que vos intérêts me sont plus chers que les miens, et enfin informez-vous de tous les moyens que l’on pourrait inventer pour faire que le pauvre Æneas, d’Allemand qu’il est à présent, redevînt un jour Italien. Adieu. »


On pense bien, d’après ce que nous avons dit, en commençant, de la correspondance de Pie ii, que toutes les lettres qui la composent ne roulent pas sur des sujets familiers. En effet, il y traite souvent des questions agitées au concile de Bâle, il combat les argumens fournis par le pape Eugène iv ; il parle du roi d’Aragon, qui partait pour aller combattre les Turcs près de Rhodes, et en général de toutes les affaires politiques et religieuses qui agitaient alors les esprits. Ces lettres sont fort curieuses et souvent instructives ; mais, on le sait, nous avons résolu de ne pas nous en occuper cette fois. On a déjà pu voir ce qu’Æneas Sylvius pensait de l’amour, de la galanterie, du libertinage même, et enfin du mariage. Écoutons-le maintenant sur l’amitié. C’est à son ami Jean Campisio, grand philosophe d’alors, qu’il s’adresse. Il lui écrit :

« Ce que vous me dites de la solidité de mon amitié, je ne puis le lire sans en être touché ; car si, en général, je n’accepte pas facilement les louanges, parce que je sais que je n’en mérite guère, je vous avoue que je puis dire hautement et sans modestie, que quand j’ai une fois donné mon amitié à quelqu’un, je persiste avec une constance sans égale. Je ne me prends pas facilement d’amitié, et je suis loin de regarder tous les hommes comme dignes d’être mes amis. Je suis difficile, dédaigneux, et, pour que je donne mon amitié à quelqu’un, il faut que je le juge meilleur que moi. Mais par cela même que je ne me jette pas inconsidérément à la tête des gens, je me refroidis pour eux lentement. En un mot, je suis un ami très