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ÆNEAS SYLVIUS.

pas après quelques jours de mariage, source intarissable de chagrins et de regrets pour les maris ! J’en juge par ce qui m’est arrivé ; j’ai aimé et connu plusieurs femmes qui, après deux ou trois jours, me sont devenues odieuses. Aussi, je le dis, si j’étais homme à marier, je ne choisirais pour femme qu’une personne dont je connaîtrais parfaitement les habitudes et les manières. Je vous parle sans détour sur ce sujet, car je connais votre pensée, et je me souviens de vous avoir entendu dire que vous ne vouliez prendre pour épouse qu’une femme qui saurait et avouerait qu’elle vous doit tout. Il me semble que vous avez la main à faire ce que vous souhaitez, pour peu que vous vouliez être conséquent avec vous-même. Mariez-vous donc, et moi, quand je retournerai en Italie, si j’y retourne, j’irai vous voir avec votre femme, vos enfans, au milieu de votre famille et de vos serviteurs ; vous me donnerez le couvert, je mangerai de votre pain. N’allez pas vous épouvanter au moins de l’habitude que j’ai de voir les grands et de vivre au milieu de leur luxe, tout cela a peu de charme pour moi, et je les quitterais volontiers pour rentrer dans ma patrie, pourvu que je pusse le faire sans mendier ma vie. Vous savez quel prince je sers, et tous les soins qu’il prend pour entretenir l’union en Europe. Un serviteur fidèle ne peut pas vouloir autre chose que ce que son maître désire ; aussi fais-je des vœux au ciel pour la réussite de ses desseins, qui me paraissent bons. Ce qu’il y a de certain, c’est que la faveur royale vous a atteint, ainsi que moi, et que, comme la cour va être plus riche, avec l’aide de Dieu, nous pourrons nous en ressentir. Quand cela arrivera-t-il ? je ne sais. En attendant, je m’insinue auprès du roi ; je lui obéirai, je le suivrai, je voudrai ce qu’il veut, je ne le contrarierai pas, je ne lui parlerai pas de ce qui me touche, car rien n’est plus dangereux que de vouloir s’ingérer dans les affaires d’un pays dont on n’est pas. Je suis étranger ici, et j’y prends le rôle du parasite Gnaton. Ils disent oui, je dis oui ; ils veulent non, je dis non. Font-ils bien, je les loue intérieurement ; s’ils extravaguent, tant pis pour eux. Enfin, je n’envie la gloire ni ne pleure l’infamie d’aucun d’eux. Ce que je saurai, je vous le transmettrai sans réflexions ; je ne veux paraître ni prudent ni sot, je saurai me taire et obéir à propos. Je ne vous dirai rien de plus aujourd’hui, si ce n’est de ne pas oublier à me donner des nouvelles de maître Thomas, et de m’écrire où en sont vos projets de mariage. Adieu. »

Ce mariage et la résolution future de son ami Pierre en cette occasion, paraissent avoir préoccupé assez vivement notre poète impérial, car il envoya une seconde lettre. Il écrit à ce même Pierre, greffier apostolique :

« J’ai eu assez souvent, depuis quelques jours, l’occasion de vous écrire