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pour vous et votre ami Jacob. Je vous parle librement, puisque vous voulez bien m’appeler votre maître ; aussi allons-nous peser toute cette affaire dans la balance de la justice. Voyons donc qui du cardinal ou de vous a eu tort. Voici le fait : Une femme est introduite en cachette dans le palais du cardinal, pour y passer la nuit avec Jacob son amant ; mais il arrive qu’elle ne peut s’évader. Grand embarras, car le crime devient manifeste à vos yeux. Alors, prenant les intérêts de votre ami Jacob, vous vous mettez en quatre pour faire sortir cette femme, vous y parvenez, et vous vous gardez bien d’en rien dire au cardinal. On comprend cette précaution. Cependant c’est une faute grave ; c’est une espèce de trahison envers votre maître, dont l’honneur aurait pu être taché par ce qui s’est passé chez lui ; et toutefois j’avoue que la faute une fois commise, vous deviez prendre les intérêts de Jacob, et couvrir sa faute, à moins que vous n’eussiez été plus attaché à votre maître qu’à votre ami, car l’amitié ne doit porter atteinte aux droits de qui que ce soit, ni admettre rien de honteux. Si vous dites qu’il était de votre devoir de cacher la faute de votre ami, soit : mais cela veut dire aussi que vous deviez prendre autant de soins de l’honneur du cardinal que de celui de Jacob. Vous avez préféré Jacob au cardinal ; pourquoi donc le cardinal n’aurait-il pas le droit d’être plus indulgent envers celui qui a commis la faute qu’à l’égard de celui qui l’a celée ? Vous êtes son serviteur, vous mangez son pain, vous dormez sous son toit ; si vous vous rendez coupable envers lui, n’a-t-il pas le droit de vous punir ? Vous dites que la peine est trop dure, que le juge a été trop sévère ? Voyez à quel point vous êtes injuste vous-même, et combien vous accusez mal à propos le cardinal ! La faute commise a été connue de lui à l’instant même ; toutefois il s’abstient de la punir, dans la crainte que la colère ne lui fasse dépasser les bornes que la justice impose, et il prend trois jours avant de décider du sort du coupable. Certes il n’y a rien de dur dans cette manière d’agir, et si tout autre que lui eût eu un serviteur qui se fût rendu coupable d’un pareil crime, il n’eût pas balancé à le faire fouetter et à le chasser de chez lui. Le cardinal de Saint-Eustache a souvent fait mettre les entraves pour des fautes bien moindres. Mais le cardinal, votre patron, est un homme doux et raisonnable, qui connaît le faible des jeunes gens, qui n’ignore pas combien il est difficile de comprimer les aiguillons de la chair. Il s’est donc borné à vous imposer trois jours de jeûne, et vous regardez son joug comme lourd et insupportable ! En vérité, mon cher Gaspar, si vous continuez de la sorte, je ne vous conseille pas de vous engager dans les cours, car si vous ne pouvez tolérer un maître si doux, vous ne supporterez les commandemens de personne. Quant aux cours des princes ou des prélats, attendez-vous à y trouver l’envie, la