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ÆNEAS SYLVIUS.

grand Jules César, et je me demandai si l’on pouvait s’étonner qu’un pauvre petit homme comme moi fît ce que de si grands personnages n’avaient pas dédaigné de faire. Je m’autorisai encore d’autres exemples, et sans parler de Moïse et d’Aristote, j’en trouvai un bon nombre parmi les chrétiens. Que vous dirai-je enfin ? mon cœur devint brûlant d’amour pour cette femme, et je fis tous mes efforts pour lui plaire. Mais elle rejeta mes discours, comme les récifs repoussent les vagues, et pendant trois jours, elle me tint rigueur. À la fin du troisième jour, sachant qu’elle devait partir le lendemain, je ne pus me résoudre à laisser s’en aller ma proie. Je lui parlai de nouveau ; je la priai de ne pas mettre le verrou à sa porte, l’assurant que j’aurais soin de venir pendant le moment le plus silencieux de la nuit. Elle refuse, j’insiste ; elle ne me dit ni oui ni non. Chacun va se coucher. Pour moi, je me mets à réfléchir, bien incertain de savoir si elle laissera ou non sa porte ouverte. Enfin, après avoir repassé dans ma mémoire toutes les aventures de ce genre, il faut essayer, me dis-je, et dès que le silence de la nuit me parut favorable à l’exécution de mon dessein, je m’approchai de la porte, j’entrai dans la chambre, et enfin dans le lit d’Élisabeth, car tel est son nom. Voilà comme je suis devenu père. Je n’ai appris la grossesse de cette femme que depuis, à Bâle, où je l’ai retrouvée. J’avoue que, bien que cette femme se soit montrée fort désintéressée à Strasbourg, et qu’elle n’ait cédé qu’à mes tendresses, j’ai cru long-temps qu’elle avait envie de se faire donner de l’argent, tout en n’en demandant pas. Mais à présent que je puis certifier qu’elle n’attend absolument rien de moi, je pense que l’enfant m’appartient. Je vous prie donc, mon père, de l’adopter, de le nourrir jusqu’à ce qu’il soit assez grand pour revenir vers moi, afin que je m’occupe de son instruction. Soyez surtout bien certain que sa mère n’a fondé aucun espoir de fortune sur la naissance de cet enfant. »


Plusieurs lettres d’Æneas laissent voir que, malgré le tracas des nombreuses affaires où il fut constamment engagé, c’était un bon-vivant, qui ne restait étranger à aucune des histoires galantes dont on ne craignait pas de lui parler.

Dans la seizième, adressée à un jeune homme, Gaspar de Fara, qui sans doute était page chez un cardinal, il lui dit : « Je reçois toujours vos lettres avec plaisir. Elles sont écrites avec simplicité et élégance. J’ai surtout fort goûté toutes les plaisanteries que vous me mandez dans les dernières. Toutefois je suis étonné que vous y marquiez tant d’humeur pour le jeûne de trois jours qui vous a été imposé comme pénitence par le cardinal. Je ne m’explique votre mutinerie que par son indulgence