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ALDO LE RIMEUR.

elle vous effraie. Vous craignez d’être forcés de la secourir : et, comme vous ne le pouvez pas, vous l’humiliez pour lui apprendre à se passer de vous.

Eh bien ! oui, je suis faible : faible de cœur, faible de corps, faible d’esprit. Quand j’aime, je ne vis plus en moi ; je préfère ce que j’aime à moi-même. — Quand je veux suivre la chasse, j’en suis vite dégoûté, parce que je suis vite fatigué. — Quand on me raille ou me blâme, je suis effrayé, parce que je crains de perdre les affections dont je ne puis me passer, parce que je sens que je suis méconnu, et que j’ai trop de candeur pour me réhabiliter en me vantant. Avec les hommes, il faudrait être insolent et menteur. Je ne puis pas. Je connais mes faiblesses et n’en rougis pas, car je connais aussi les faiblesses des autres et n’en suis pas révolté. Je les supporte tels qu’ils sont. Je ne repousse pas les plus méprisables, je les plains, et, tout faible que je suis, j’essaie de soutenir et de relever ceux qui sont plus faibles encore. Pourquoi ceux qui se disent forts ne me rendent-ils pas la pareille ?

— Dieu ! je ne t’invoque pas ! car tu es sourd. Je ne te nie pas ; peut-être te manifesteras-tu à moi dans une autre vie. J’espère en la mort.

Mais ici tu ne te révèles pas. Tu nous laisses souffrir et crier en vain. Tu ne prends pas le parti de l’opprimé, tu ne punis pas le méchant. J’accepte tout, mon Dieu ! et je dis que c’est bien, puisque c’est ainsi. Suis-je impie, dis-moi ?

Mais je t’interroge, toi, mon cœur ; toi, divine partie de moi-même. Conscience, voix du ciel cachée en moi, comme le son mélodieux dans les entrailles de la harpe, je te prends à témoin, je te somme de me rendre justice. Ai-je été lâche ? ai-je lutté contre le malheur ? ai-je supporté la misère, la faim, le froid ? ai-je abandonné ma mère lorsque tout m’abandonnait, même la force du corps ? ai-je résisté à l’épuisement et à la maladie ? ai-je résisté à la tentation de me tuer ? — Où est le mendiant que j’aie repoussé ? où est le malheureux que j’aie refusé de secourir ? où est l’humilié que je n’aie pas exhorté à la résignation, rappelé à l’espérance ? J’ai été nu et affamé. J’ai partagé mon dernier vêtement avec ma mère aveugle et sourde, mon dernier morceau de pain avec mon chien efflanqué. J’ai toujours pris en sus de ma part de souffrances,