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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

— Oh ! oui, c’est une lettre de ma mère.

Le général reporta les yeux sur le Courrier Français. Je me mis à dessiner le chiffre demandé. Madame M… sortit.

— Tous ces détails vous ennuient peut-être ? monsieur, me dit le chartreux en s’interrompant, et vous êtes étonné de les entendre sortir de la bouche d’un homme qui porte cette robe et qui creuse une tombe : c’est que le cœur est la dernière chose qui se détache de la terre, et que la mémoire est la dernière chose qui se détache du cœur.

— Ces détails sont vrais, lui dis-je, et par conséquent intéressans. Continuez.

— Le lendemain, je fus réveillé à six heures du matin par le général ; il était en attirail de chasseur, et venait me proposer une course dans la plaine.

Au premier abord, son aspect inattendu m’avait un peu troublé ; mais son air était si calme, sa voix avait si bien conservé le ton de franche bonhomie qui lui était habituel, que je me remis bientôt. J’acceptai sa proposition, nous partîmes.

Nous causâmes de choses indifférentes jusqu’au moment où, prêts à entrer en chasse, nous nous arrêtâmes pour charger nos fusils.

Pendant que nous exécutions cette opération, il me regarda fixement. Ce regard m’intimida. — À quoi pensez-vous, général ? Lui dis-je.

— Pardieu, me répondit-il, je pense que vous êtes bien fou d’être devenu amoureux de ma femme.

On devine l’effet que produisit sur moi une pareille apostrophe.

— Moi, général ! répondis-je stupéfait !…

— Oui, vous, n’allez-vous pas nier ?

— Général, je vous jure.

— Ne mentez pas, monsieur ; le mensonge est indigne d’un homme d’honneur, et vous êtes homme d’honneur, je l’espère.

— Mais, qui vous a dit cela ?…

— Qui, pardieu, qui ?… Ma femme…

— Madame M..!

— N’allez-vous pas dire qu’elle se trompe ? tenez, voilà une lettre que vous lui avez écrite hier. — Il me tendit un papier que je n’eus pas de peine à reconnaître. La sueur me coulait sur le front.