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REVUE DES DEUX MONDES.

époux ! régner ! D’abord le sceptre jusqu’ici ne m’a pas semblé trop lourd à porter ; ensuite Aldo est le dernier homme du monde que je pourrais supposer capable de me seconder. Personne ne connaît moins les autres hommes, personne n’a d’idées plus creuses, de sentimens plus exceptionnels, de rêves plus inexécutables. Vraiment ! mon peuple serait un peuple bien gouverné ! il pourrait chanter beaucoup et manger fort peu, ce qui ne laisserait pas que d’être fort agréable, le jour où le poète-roi aurait découvert le moyen de placer l’estomac dans les oreilles. Laisse-moi, Tickle, tu n’as pas le sens commun aujourd’hui.

TICKLE, sortant.

Fort bien, j’ai réussi à la fâcher ; j’étais bien sûr qu’en disant comme elle, je l’amènerais à dire comme moi.



Scène II.


LA REINE, seule.

Ce Tickle est un fâcheux personnage ; il a une manière d’entrer dans mes idées qui m’en dégoûte sur-le-champ. Ces prétendus bouffons, que nous avons autour de nous, sont comme nos mauvais génies : laids et méchans ; ils tiennent du diable. Ils ont l’art de nous dire la vérité qui nous blesse, et de nous taire celle qui nous serait utile. Quand ils ne mentent pas, c’est que leur mensonge pourrait nous épargner une douleur ou nous sauver d’un péril ; c’est alors seulement qu’ils se refusent le plaisir de nous tromper. Il faut que je voie mon poète, je me sens attristée et prête à douter de tout. L’homme aux illusions me consolera peut-être.

(Elle siffle dans un sifflet d’argent suspendu à son cou.)
(Tickle rentre.)

Nain, envoyez Aldo près de moi, je l’attends ici.

TICKLE.

J’y cours avec joie.

LA REINE.

Après tout, Tickle a souvent raison quand il me dit que cet amour nuit à ma gloire. Le duc de Suffolk m’était moins cher, je