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MÉLANGES.

Après trois semaines, la rousse ramena son veau à la ferme et ne retourna plus au bois. On avait jugé à l’ampleur de ses mamelles qu’elle serait grande laitière ; mais lorsqu’il s’agit de la traire, outre qu’elle se prêta difficilement à cette opération, on reconnut qu’elle n’avait, pour ainsi dire, que le lait nécessaire à la nourriture de son veau, et en conséquence on laissa celui-ci tetter autant et aussi long-temps qu’il voulut. Cette observation vient à l’appui d’une opinion que j’avais émise autrefois à l’occasion du bétail transporté dans l’Amérique méridionale : savoir, que chez nos vaches l’abondance du lait et sa persistance, après le sevrage, est un résultat de la domestication, lequel tend à disparaître toutes les fois que l’animal se rapproche de son état primitif d’indépendance. Or les précautions de la rousse pour cacher son petit, l’instinct de celui-ci de ne point se déceler par ses cris, rappellent les habitudes des bêtes sauvages bien plus que des animaux domestiques.

Pendant le temps que M. R. demeura en Amérique, la vache rousse mit bas deux autres fois, et à cette époque elle montra toujours la même défiance, elle usa des mêmes précautions pour mettre son veau à l’abri. C’est une chose digne de remarque que ces facultés, qui restaient inactives chez l’animal tant que sa propre sûreté seulement était intéressée, se développassent ainsi dès qu’il s’agissait de la sûreté de sa progéniture.

J’ai dit que, dans quelques parties des États-Unis, les pauvres gens laissent errer leur bétail dans les bois, et le retrouvent en se guidant par le son du grelot que porte la vache-maîtresse. Comme les habitans d’un même district ont soin que leur sonnette ait un son différent de toutes les autres, chacun sait reconnaître la sienne, et les chiens même peuvent faire cette distinction, de sorte qu’à quelqu’instant de la journée qu’on veuille faire rentrer les vaches à la ferme, il suffit d’ordonner au chien d’aller les chercher dans la forêt ; on le voit bientôt rentrer avec elles. Ceci me ramène, quoique par un long circuit, au chien dont parle l’auteur de la lettre. Des deux explications qu’il propose pour le fait du bonnet, une seule me paraît admissible. Je ne crois pas qu’un chien, si intelligent qu’on le suppose, puisse suivre une conversation. Cependant je ne doute nullement qu’ils n’en puissent quelquefois saisir une petite, lorsque cela se rapporte à un sujet qui les intéresse vivement. Bien des chiens de chasse dressent l’oreille toutes les fois que l’on prononce les mots de fusil, lièvre, etc. ; ils attachent très certainement un sens à ces mots, ils pourront même en attacher au nom d’un lieu qui sera, pour leur maître et pour eux par suite, un but habituel de promenade. L’anecdote suivante, que j’emprunte à M. Dureau de la Malle, me fournit, ce me semble, une preuve irrécusable.