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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

Nous entrâmes dans l’une de ces cellules vides ; le moine qui l’habitait était mort depuis cinq jours. Toutes sont pareilles, toutes ont deux escaliers, l’un pour monter un étage, l’autre pour en descendre un. L’étage supérieur se compose d’un petit grenier, l’étage intermédiaire d’une chambre à feu près de laquelle est un cabinet de travail. Un livre y était encore ouvert à la même place où le mourant y avait jeté les yeux pour la dernière fois : c’étaient les Confessions de saint Augustin. La chambre à coucher est attenante à cette première chambre ; son ameublement ne se compose que d’un prie-Dieu, d’un lit avec une paillasse et des draps de laine ; ce lit a des portes battantes qui peuvent se fermer sur celui qui y dort : cela me fit comprendre quelle était la pensée de l’Allemand, lorsqu’il m’avait dit que les chartreux couchaient, dans une armoire.

L’étage inférieur ne contient qu’un atelier, avec des outils de tour ou de menuiserie ; chaque chartreux peut donner deux heures par jour à quelque travail manuel, et une heure à la culture d’un petit jardin qui touche à l’atelier : c’est la seule distraction qui lui soit permise.

En remontant, nous visitâmes la salle du chapitre général ; nous y vîmes tous les portraits des généraux de l’ordre, depuis saint Bruno, son fondateur[1], mort en 1101, jusqu’à celui d’Innocent-le-Maçon, mort en 1703 ; depuis ce dernier jusqu’au père Jean-Baptiste Mortès, général actuel de l’ordre ; la suite des portraits est interrompue. En 92, au moment de la dévastation des couvens, les chartreux abandonnèrent la France, emportant, chacun avec soi, un de ces portraits. Depuis, chacun est revenu reprendre sa place, et rapporter le sien ; ceux qui moururent pendant l’émigration avaient pris leurs précautions, pour que le dépôt dont ils s’étaient chargés ne s’égarât pas : aujourd’hui, aucun ne manque à la collection.

Nous passâmes de là au réfectoire : il est double ; la première salle est celle des frères, la seconde celle des pères. Ils boivent dans des vases de terre et mangent dans des assiettes de bois ; ces vases ont deux anses, afin qu’ils puissent les soulever à deux mains, ainsi

  1. La fondation de l’ordre remonte à 1084.