Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/423

Cette page a été validée par deux contributeurs.
417
SOUVENIRS DE LA NORMANDIE.

chait le visage avec soin, et de temps en temps on voyait des larmes tomber sous son voile. En arrivant, elle fut entourée par quelques officiers de marine, qui s’empressèrent de la consoler. — « Mais, demandait-elle avec inquiétude, pensez-vous qu’elle puisse jamais se relever ? » — « Nous l’espérons tous, madame, » lui répondit-on. — « Et lui, de grâce, où est-il ? » — « Il n’a pas voulu la quitter. Il va la voir à toute heure, il ne s’occupe que d’elle. Sans doute, elle a bien souffert ; mais nous la sauverons. » J’avais pris part à la douleur de cette dame, sans en connaître le motif, et ce dialogue m’intéressait vivement. Je conjecturais qu’une fille aimée et malade causait la peine dont je la voyais atteinte. J’appris plus tard que cette dame était madame Lemaître, femme du capitaine de la Résolue, et qu’il était question de la frégate.

Deux jours après, je me trouvais sur les roches de Formanville, frappant à la porte du maire, qui avait recueilli le capitaine Lemaître. Le pauvre capitaine était malade et hors d’état de prendre part aux travaux qu’on faisait pour relever sa frégate. Il n’avait pu résister à tant de terribles émotions. Dans le délire de la fièvre, il ne voyait que son navire, il ne parlait que de la frégate, et sa vie semblait attachée à la conservation de ce bâtiment. Les matelots étaient persuadés que leur capitaine mourrait, si on ne parvenait à relever son vaisseau.

Ce beau vaisseau, je le vis couché sur les roches, dépouillé de ses vergues, de ses cordages et de ses voiles, son flanc ouvert, et battu par les flots, qui remplissaient tout son avant. Plus de soixante hommes de l’équipage étaient dispersés sur les tronçons des mâts et sur le pont, se tenant avec peine sur ses planches glissantes et inclinées, et achevant de démolir les rampes et les bastingages. Étranger, inconnu comme j’étais, n’ayant jamais pris part aux dangers de ce navire, je ne me sentais pas moins le cœur déchiré en le voyant dans cet état de délabrement. J’eus à peine le courage de toucher le bord, et m’éloignai presqu’aussitôt.

La réception que me fit l’équipage n’était guère propre à me retenir, il est vrai. Tous ceux qui ont visité des vaisseaux de guerre français n’ont certainement pas oublié l’accueil bienveillant et poli du capitaine, des officiers, la prévenance des maîtres et des élèves, et l’urbanité incroyable des matelots. À peine votre em-