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Le vent changeait de direction à chaque moment, et chaque fois qu’il tournait son gouvernail vers la passe, la brise le jetait hors de sa route. Il prit le parti d’attendre le jour et de passer la nuit hors de la rade où il avait espéré trouver un refuge.

La nuit vint, et avec elle une brume épaisse qui ne permit pas de distinguer les feux de la côte. Un vaisseau, ainsi placé à l’entrée d’une baie, ne peut rester immobile ; le capitaine, accablé de fatigue, donna l’ordre de courir des bordées jusqu’à minuit, puis de virer de bord, afin de se trouver à trois ou quatre lieues du port, au lever du jour, quand la lumière du matin permettrait de se diriger sur les passes de la digue. Cela fait, il se jeta sur un hamac pour prendre quelques momens de repos qui lui étaient bien nécessaires.

Il n’y resta pas long-temps. À peine eut-il fermé les yeux qu’un choc horrible le précipita sur le plancher de sa chambre. Un grand cri de l’équipage répondit à cette secousse. La frégate avait échoué, elle était immobile ! Un énorme rocher lui avait crevé le ventre, comme me dit énergiquement un marin, et la tenait serrée comme un écrou. Quoique la nuit fût bien sombre, on distinguait à quatre pas de là d’autres rochers formant un promontoire. C’était la côte de Fermanville, le lieu le plus sauvage de toute cette contrée, immense montagne de granit, à peine couverte de quelques herbes rares, et dont les blocs, éparpillés dans la mer à longue distance, donnent à ces parages l’aspect d’une de ces falaises sombres et nues qu’on trouve aux Orcades.

Le capitaine, calme et froid dans son désespoir, usa de ses dernières ressources ; il fit changer la manœuvre pour prendre la brise dans son avant, et faire culer le navire ; mais la frégate resta immobile, embossée qu’elle était entre deux grands quartiers de roches.

Toutes les voiles furent alors serrées, pliées, pour diminuer l’action du vent qui soufflait avec violence. On essaya de jeter les ancres pour retenir le bâtiment, si la mer soulevée par la brise venait à le faire flotter et le battre sur les blocs de granit qui l’avaient saisi ; tout fut inutile. L’ancre retentissait sur les pierres et revenait en bondissant.

Quelques coups de canon de détresse annoncèrent à Cherbourg