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l’autre, se brisent avec une extrême violence ; en vain ajoutait-il que les sept rivières qui se déchargent en faisceau dans la mer, y forment un courant terrible ; en vain envoyait-il au ministre des tracés exacts de cette côte plate et sans défense, un relevé géologique de ce terrein sans carrières, imprégné de marécages et d’eaux malsaines, le ministre répondait qu’un lieu célèbre par le combat de M. de Tourville devait être bon à tout, et il jurait que le grand port militaire serait placé à la Hogue.

La raison que donnait le ministre pouvait se traduire ainsi : « M. de Tourville a été battu dans les eaux de la Hogue, donc il faut créer un port militaire à la Hogue. » Or, M. de Tourville vit brûler par les Anglais quinze de ses vaisseaux dans la rade de la Hogue où ils s’étaient réfugiés, tandis que ceux qui avaient gagné Cherbourg s’y échouèrent sans être atteints par le boulet ennemi. Les motifs du ministre devaient justement faire conclure en faveur de Cherbourg. Quant aux souvenirs du combat de la Hogue, il eût mieux valu les effacer de notre histoire, s’il eût été possible. Pour moi, ce n’est pas sans un profond sentiment de tristesse que j’ai vu, dans la grande carte marine de l’amiral Knight, le canal entre Jersey et Guernesey, indiqué par ces mots tracés en français, et écrits en caractères énormes : passage de la déroute. C’est ce passage qu’enfilèrent précipitamment les vingt-deux vaisseaux de l’escadre de Tourville, qui se sauvèrent à Saint-Malo. On sait que, voyant fuir ceux-ci et brûler ceux-là, le roi Jacques, qui attendait, dans l’île de Tatihou, le moment de descendre en Angleterre avec son armée payée et équipée par Louis xiv, ne put s’empêcher de battre des mains, et d’applaudir à notre défaite.

Enfin, à force de pourparlers et de mémoires, le ministre et ses commis voulurent bien abandonner la Hogue et M. de Tourville ; mais comme les partisans du port de Cherbourg avaient surtout insisté sur cet établissement, afin de mettre les vaisseaux français à l’abri des incursions des corsaires de Guernesey et de Jersey, on trouva plus simple de s’emparer de ces îles. L’idée était fort bonne sans doute, mais elle pouvait fort bien s’accorder avec la construction de la digue de Cherbourg.

À chaque lettre de La Bretonnière, qui demandait l’exécution d’un port de refuge à Cherbourg, on répondait qu’on allait s’oc-